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    Les Frères Sisters, les garçons de l’Ouest

    Les Frères Sisters
    de Jacques Audiard
    Western
    Avec Joaquin Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal
    Sorti le 24 octobre 2018

    Aux côtés des westerns contemporains, Les Frères Sisters fait figure d’anomalie. À une époque où le genre tente de se réaffirmer par une virilité exacerbée et une âpreté à toute épreuve, le dernier long-métrage de Jacques Audiard prend le parti-pris inverse. Western révisionniste rempli d’éclats de violence brutale, d’audaces formelles et de dialogues truculents, le film fait preuve d’une étonnante mais sincère tendresse qui le place comme un des efforts les plus originaux et généreux du genre.

    Dès son ouverture, il est clair qu’Audiard nous a réservé un objet filmique unique. Des coups de feu illuminent une nuit noire — actes de violence lointains, presque invisibles à l’image, mais non moins brutaux. Dans l’immédiat, on ne voit ni visage ni détail, mais les responsables ne tardent pas à se présenter. Ce sont les frères Sisters, Eli et Charles de leur prénom, duo de frangins qui arpentent l’Ouest et vivent de leur colt. La fusillade qu’ils viennent de causer pour un motif purement pécuniaire est plus sanglante que nécessaire, ce que tous deux remarquent, un constat noir mais morbidement drôle. En toute apparence, ces deux-là ne sont pas des gens bien, mais il est difficile de ne pas les trouver sympathiques, en grande partie grâce à leurs interprètes respectifs, Joaquin Phoenix et John C. Reilly.

    Le premier incarne le sauvage et bravache Charlie, adepte récurrent de la bouteille. C’est à nouveau un rôle de mauvais garçon fragile pour Phoenix, mais l’acteur parvient comme toujours à y apporter quelque chose de nouveau, un grain de folie étrange. Le rôle de Eli revient quant à lui à Reilly, et lui convient magnifiquement bien. Il est le moins fringant des deux frères, mais de loin le plus doux, comme en témoigne de nombreuses scènes aussi drôles que touchantes dans lesquelles il montre une belle sensibilité à fleur de peau. C’est un homme qui désire être meilleur qu’il ne l’est, et on saisit bien que dans d’autres circonstances, tel aurait été le cas. À défaut, il fait preuve, entre deux actes de violence, d’une clémence et d’une douceur surprenante, que ce soit à l’égard de parfaits étrangers, ou de son frère, sur lequel il veille avec attention tout en étant son souffre-douleur préféré. À cheval à travers l’Ouest, ces deux hommes dans la quarantaine se chamaillent incessamment, comme seuls des frères peuvent le faire. Derrière leurs traits ridés et secs se meut une âme d’enfant blessé — combinaison mortelle mais touchante.

    Ils sont sur les traces d’un autre duo, moins sanglant celui-là, composé de Jake Gyllenhall et de Riz Ahmed. Ces deux-là sortent du lot dans l’Ouest américain. Liés par une forte amitié, aux accents qu’on devine romantiques, ils incarnent une masculinité dépouillée de ses aspects les plus toxiques, et mue par la compréhension et le respect mutuels. Ils sont une bouffée d’air dans cet univers de testostérone qu’est le western, et leur empathie guide le film dans des directions plus optimistes où la tendresse fait face à la cruauté.

    C’est probablement cette foi en l’être humain qui a amené les frères Dardenne à produire ce western loin de leur réalisme social, mais proche de leur sensibilité. Même chose pour le réalisateur Jacques Audiard, qu’on connaît pour ses sombres drames humanistes, parfois teintés de genre mais toujours rattachés à une réalité économique plus ou moins définie. Pour son premier film en anglais, il fait de la place à l’humour, et s’essaie même à une certaine légèreté qui lui sied à ravir. Il délaisse également ses collaborateurs habituels, s’offrant entre autres les services de Benoît Debbie (le directeur de la photographie des films de Gaspard Noé) qui peint l’Ouest américain de couleurs chatoyantes, créant des images pittoresques et marquantes.

    Road-trip de près de deux heures, Les Frères Sisters erre fréquemment en chemin. Mais chacun de ses détours vaut la peine d’être pris, les plus cocasses (John C. Reilly découvrant les joies du brossage de dents) comme les moins ragoûtants (John C. Reilly avalant une araignée dans son sommeil). C’est dans ses scènes en suspens où les hommes parlent plus que les fusils que le film montre sa différence et sa force. Le long-métrage ne renie pas pour autant le large patrimoine du western qui le précède. De la soif d’or du Trésor de la Sierra Madre aux fusillades de McCabe & Mrs. Miller, Les Frères Sisters puise allègrement dans les grands classiques du genre, en leur apportant ses propres nuances et son identité idiosyncrasique.

    Adrien Corbeel
    Adrien Corbeel
    Journaliste du Suricate Magazine

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