auteur : Salman Rushdie
édition : Actes Sud
sortie : août 2018
genre : roman
De retour sur la scène littéraire en cette rentrée 2018, Salman Rushdie signe avec La Maison Golden un roman grand public sur l’Amérique d’aujourd’hui. Il y dresse le portrait d’une époque et d’une société en déliquescence, de l’arrivée d’Obama à la montée en puissance de Trump, à travers une saga familiale tourbillonnante au passé trouble.
Le jour de l’investiture de Barack Obama, une richissime famille originaire d’Inde prend ses quartiers à New York dans un immeuble cossu. Installés dans « les Jardins », enclave très select de Greenwich Village, Néron Golden et ses trois fils se trouvent dans l’œil de mire de René Unterlinden, un jeune cinéaste intrigué par ses nouveaux voisins. Traumatisé par la mort soudaine de ses parents, le metteur en scène apprenti va trouver un exutoire à sa tristesse en s’introduisant dans l’intimité de la famille Golden. Celle-ci deviendra une source d’inspiration inespérée pour son scénario. Car chez les Golden, chaque personnage est une pièce unique : Néron d’abord, et ses trois fils, Petya l’autiste surdoué en informatique, Apu l’artiste plasticien qui brûle la vie par les deux bouts et, le dernier, le fragile Dionysos qui ne se remet pas d’avoir une autre mère que ses deux frères, est en recherche de son identité sexuelle. Sans oublier la sublime Vasilisa, la jeune épouse cupide de Néron qui le mène par le bout du nez.
Dans cette fresque romanesque puissante, l’auteur des Versets sataniques mêle habilement le documentaire à la fiction. Ses réflexions reflètent l’air du temps ; elles font écho aux derniers bouleversements de l’Amérique et du monde en général : le terrorisme, les questions d’identité (sexuelle et raciale), le virage politique à droite, les crises économiques, le sexisme, la corruption… Ici, Donald Trump est représenté sous les traits du Joker aux cheveux teints, le super vilain de la bande-dessinée de Batman. Salman Rushdie n’hésite pas à rapprocher le phénomène des clowns sinistres qui semaient la terreur parmi les gens en ville aux Etats-Unis en octobre 2016 avec l’arrivée au pouvoir de Trump quelques semaines plus tard. « Les jours passaient et l’Amérique raisonnable était en guerre avec son propre égarement et les gens comme moi, qui ne croient pas aux superstitions, se promenaient mains dans les poches et doigts croisés. Et finalement, il y en eut un, d’horrible clown ».
Sur fond de mensonges, secrets et trahisons, le roman traite les questions de la culpabilité et de l’origine du mal. Dans cette famille touchée par le destin telle une tragédie grecque, chaque personnage est à la fois bourreau et victime. Mais la chute des Golden, c’est aussi la fin d’une dynastie romaine. La Maison Golden ou la maison dorée, n’est pas sans rappeler la domus aurea de l’empereur Néron dont le règne agité provoqua une grave crise dans l’Empire romain. Peut-on y voir une métaphore de notre civilisation ? Dans son treizième roman, Salman Rushdie brasse large. Il y fait montre de tout son savoir en truffant son histoire de nombreuses références cinématographiques, littéraires, historiques et mythologiques. On pourrait crier gare à l’indigestion mais les digressions n’altèrent en rien la fluidité du récit.
On reprochera surtout au roman son manque d’ancrage réaliste dans sa vision trop dorée de New York et un narrateur peu crédible (le jeune et innocent réalisateur René Unterlinden), aux épaules trop frêles pour pouvoir maîtriser suffisamment les pensées débridées du romancier. Mais grâce à un indéniable sens du détail et une plume bien trempée, l’auteur américain (récemment naturalisé) livre une chronique mordante très réussie de notre époque et de ses dérives.