Charlemagne Palestine est un artiste de l’avant-garde expérimentale qui est né à Brooklyn en 1947. Bercé par la musique religieuse juive dans son enfance, il est très tôt reçu à la High School of Music + Art de Manhattan et commence très vite à inventer son propre langage musical tout en étant influencé par des compositeurs tels que Ravel et Debussy issus de la musique dite impressionniste française autant que par des peintres tels que Mark Rothko et Clifford Still qui eux se placent plutôt dans l’Expressionnisme abstrait. Fort de ces expériences, il expérimente les sons et les couleurs pour monter des performances qui mêleront les deux. A l’âge de 25 ans, Charlemagne Palestine avait déjà une carrière internationnale prospère et son succès ne se démentira pas durant les décennies suivantes.
Lorsque l’on pénètre dans les Antichambres Horta du Bozar, c’est un ours en peluche de taille humaine, à 9 têtes et portant les couleurs de notre drapeau national qui nous accueille. Lorsque l’on porte le regard un peu plus loin, on devine un amoncellement inextricable de couleurs qui aiguisent notre curiosité bien que l’on ne comprenne pas encore ce que nos yeux distinguent. Une barque colorée et suspendue dans les airs avec un éléphant en peluche en guise de figure de proue et débordant d’animaux en peluche. Le ton est donné.
En arrivant dans la rotonde, deux pianos trônent au milieu de la pièce. Le premier à gauche est un Bösendorf Imperial, inventé en 1909, il possède 9 touches de plus que les autres et le second est un Yamaha Baby Grand. Ces deux imposants instruments sont recouverts d’un patchwork de peluches comme autant de divinités animales accompagnés de rubans sacrés et de boules suspendues au-dessus. L’artiste à l’habitude de se produire avec ses instruments accompagné de ses fétiches dont il change l’ordre et la composition au gré de ses envies.
C’est les yeux écarquillés que l’on poursuit notre visite : peluches, structures en papier-mâché, photographies, installations vidéos, foulards, bandes de tissus qui courent le long des colonnes, des rampes ou encore pendent du plafond, miroirs qui augmentent la sensation que chaque recoin a été utilisé, animaux en peluches avec parachutes qui semblent tomber du ciel, etc. A chaque fois que l’on pense avoir tout vu, un détail que l’on n’avait pas remarqué saute aux yeux et puis un autre… et encore un autre, et encore un autre. Les baies vitrées qui permettent l’éclairage zénithal ont été peintes pour renforcer la colorisation de la salle, de l’air est expulsé donnant vie et mouvement à tous les objets hétéroclites suspendus au plafond. La musique de Charlemagne Palestine résonne, mettant en exergue ses expérimentations et insufflant une ambiance proche du mysticisme à cette débauche de couleurs qu semble incompréhensible au premier abord. Enfin, sur tout le pourtour des murs, au sol, se déploie une série de peluches qui forment un fil conducteur et comme une barrière protectrice autour de cette exposition.
Les peluches, qui accompagnent l’artiste à chacun de ses déplacements, sont considérées comme des divinités totémiques et s’invitent dans son oeuvre dès les années ’80. Il en réalise des assemblages qui s’érigent comme autant de puzzles fétichistes et lui permettent de s’adapter au lieu où ils seront exposés. Le Bozar a donné “Carte blanche” à Charlemagne Palestine pour l’installation de son exposition qu’il tenait absolument à faire dans cette partie du Palais – où il s’était produit en 1974 lors de sa première visite en Belgique – ce qui lui a permit de donner un aperçu condensé de ces installations et performances et qui nous donnent à voir où l’ont emmenées ses différentes explorations menant à autant de créations durant les 50 dernières années.
AA SSCHMMETTRROOSSPPECCTIVVE – appelée ainsi parce qu’une rétrospective signifie que la carrière d’un artiste est terminée et qu’il pense avoir encore beaucoup d’univers à explorer – nous emmène dans une expérience extrasensorielle et haute en couleurs. Chaque sens est mis à contribution dans ses antichambres mettant en valeur un art vivant et modifiable. On ressort de cette exposition joyeux de tant de folie douce, heureux d’avoir fait la connaissance d’un artiste à mille lieues d’un art qui se prend trop au sérieux.