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    Platine de Régine Detambel

    auteur : Régine Detambel
    édition : Actes Sud
    sortie : mai 2018
    genre : roman biographique

    Passées les deux premières pages où il n’est question que des seins parfait et de la chevelure si particulière de Jean Harlow suivies d’un premier chapitre en forme d’épitaphe qui compare la célèbre actrice aux autres légendes qui firent les beaux jours du premier cinéma parlant, on bascule dans la vie de Harlean Carpenter.

    Harlean est la fille d’un chirurgien-dentiste, le docteur Carpenter et de sa femme, une certaine Jean Harlow devenue madame Jean Carpenter en l’épousant. Durant son adolescence, ses parents divorcent et sa mère qui s’est entre-temps remariée avec son amant, l’emmènent s’installer à Hollywood. Après avoir écumé les castings sans succès, elle ne doit la chance d’être choisie pour remplacer Greta Nissen dans Les Anges de l’enfer (1930) parce qu’un étrange concours de circonstance a fait basculer le cinéma jusque-là muet vers un cinéma sonorisé et que l’accent de Greta était inacceptable. Elle se retrouve donc à faire un essai pour le rôle et tape dans l’oeil du richissime producteur Howard Hugues par sa plastique avantageuse et fut embauchée séance tenante. A la sortie du film, la petite Harlean Carpenter devient la célèbre Jean Harlow qui, prisonnière d’un corps pulpeux, pourvue d’une poitrine voluptueuse et coiffée de cheveux presque blancs naurellement, sera enchaînée aux rôles de jeune écervelée, mise en pâture comme un morceau de viande alléchant pour faire monter la température dans les salles de cinéma.

    Mais les films s’enchaînent, et ça paie. L’amant de sa mère l’a bien compris qui la fait chanter en s’emparant à chaque fois de la majorité de ses cachets. C’est plus parce qu’habiter avec lui la sortirait de son enfer familial et peut-être aussi parce qu’il la rassurait par sa maturité que parce qu’elle l’aimait vraiment qu’elle épousat Paul Bern, un acteur de 45 ans. Mais ce mariage éclair sera un véritable cauchemar. Paul se révèle être un pseudohermaphrodite dont le sexe ne s’est jamais complètement développé. Incapable de satisfaire sa femme et frustré par cette malformation, il bat violemment Jean Harlow, tellement violemment, que ces coups causeront des séquelles invisibles qui précipiteront la fin de l’actrice en plus de l’avoir probablement rendue stérile. Son mari se suicide quelques heures plus tard en se tirant une balle dans la tête, laissant Jean exsangue.

    Alors, Jean couche désespérément avec n’importe qui dans le but de tomber enceinte mais très vite, elle est prise de douleurs dans tous le corps et les cystites se multiplient. Mais elle tourne sans interruption en tentant de surmonter une fatigue qui grandit de plus en plus. Malgré tout, elle honore ses contrats et se rends sur les plateaux tous les jours mais c’est chaque fois un enfer. Elle tient à peine debout et sa peau d’albinos ne supporte plus la lumière des projecteurs qui lui causent de sévères brûlures et lui font perdre ses cheveux. Jusqu’au jour où après une énième journée de tournage elle s’écroule en rentrant chez elle pour s’éteindre quelques heures plus tard à l’âge de 26 ans.

    Platine c’est le récit d’une vie foudroyée, le destin tragique d’une actrice qui inspira son look à Marilyn Monroe et qui, comme elle, ne fut jamais appréciée pour ses talents de comédienne mais pour ses formes plantureuses qui attiraient chaque fois plus d’hommes mûrs dans les salles obscures. C’est aussi une critique grinçante de ce qu’on appelle l’Âge d’or d’Hollywood. Derrière le strass et les paillettes et cette image véhiculée, travaillée de toute pièce, les films se succédaient à un rythme éffrené. A l’époque, les acteurs étaient sous contrats avec leur producteurs ce qui signifiait que celui-ci désignait quel acteur ferait quel film. Pour les acteurs qui avaient du succès, la cadence était infernale parce qu’ils apparaissaient dans toutes les productions. En 1937, Hollywood produisait déjà plus de 10 films par semaine!

    L’écriture de Régine Detambel est cynique, on perçoit son dégoût du système qui oblige a une actrice au bout du rouleau de tourner encore au lieu de se reposer. De cette ignoble injustice qui l’a fait épouser un homme qui l’aura complètement détruite dans son corps et sa dignité de femme. Enfin remonte à la surface en filigrane une certaine haine mêlée d’incompréhension face à l’absurdité de la vie de Jean Harlow qui se déroule comme une véritable tragédie. Platine est un roman édifiant qui met en évidence une façette peu glamour de cet implacable et écrasant rouleau-compresseur qu’est l’industrie du cinéma.

    Daphné Troniseck
    Daphné Troniseck
    Journaliste du Suricate Magazine

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