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    Spanish Still Life au Bozar du 27 février au 27 mai 2018

    Depuis le 27 février et jusqu’au 27 mai, le Bozar nous convie à un tour d’horizon de la nature morte espagnole avec son exposition Spanish Still Life. Exit les croûtes de peintres campagnards obscurs représentants des pots de fleurs tristounets qui ornaient les murs défraîchis des demeures de nos grands-mères! Ce ne sont ici que des chefs-d’oeuvre du genre. Un genre étrangement mal-aimé…

    La nature morte est l’un des genres les plus récents en peinture et il fut très souvent relégué au dernier rang de la hiérarchie de par le fait qu’il représente essentiellement des aliments, des fleurs (qui constituera un genre à part), des plantes et des animaux ou encore des objets du quotidien. L’art de la nature morte était alors considéré comme peu ambitieux par rapport à l’art du portrait ou à la peinture d’histoire qui culminaient en haut du pavé.

    Le genre se développe durant les premières années du baroque (vers 1590-1600) et se poursuivra jusqu’au XXe siècle grâce aux artistes de l’avant-garde. Si l’exposition se concentre effectivement sur le développement du genre à travers l’histoire, c’est à travers le prisme de la nature morte espagnole qu’il nous est donné à observer. La raison en est simple : si le genre existe en Europe occidentale, notamment en Flandre et en Italie, c’est en Espagne que les artistes innovent en la matière disséminant ensuite ses particularités dans les autres pays.

    La première peinture relevant de la nature morte est signée Juan Sanchez Cotán qui posent ainsi les lignes directrices d’un genre qui ne fera qu’évoluer par la suite ; c’est-à-dire sobriété du fond pour mettre en valeur les objets qui seront ensuite encadré par une “fenêtre” le tout, exécuté avec un grand souci du détail.

    Juan Sanchez Cotán, Nature morte avec coing, chou, melon et concombre, 1602, Huile sur toile, Museum of Art, San Diego, Etats-Unis

    C’est durant le XVIIe siècle qu’apparaissent les Vanités, des peintures de grande taille qui se composent de nature morte à caractère mélancolique voire macabre. Les compositions sont chargées d’une floppée de crânes humains accompagnés d’objets précieux tels que bijoux, armes, pierres précieuses, or, etc. La symbolique de ces tableaux provient largement des croyances religieuses répandues par la religion chrétienne : puisque l’on doit tous mourir un jour, il ne sert à rien de s’attacher aux choses terrestres. Les richesses sont des choses futiles, il vaut mieux se concentrer sur son âme.

    Antonio de Pereda, Vanité, 1670, Huile sur toile, Galerie des Offices, Florence, Italie

    Bien que les Vanités récoltent un vif succès comme en témoigne leurs nombreuses représentations, les natures mortes se concentrent en général sur des thématiques plus joyeuses. Son évolution se traduit notamment par l’apparition de tableaux figurant des garde-mangers pour les plus soft – où l’abondance de nourriture évoque la richesse -, en passant par des composition mettant en lumière des carcasses de gibier décharnés pour en arriver à l’introduction de sujets humains comme le fera Jerónimo Jacinto Espinoza.

    Jerónimo Jacinto Espinosa, Les vendeurs de fruits, 1650, Huile sur toile, Musée du Prado, Madrid, Espagne

    Le XVIIIe siècle quant à lui, voit la nature morte obtenir ses lettres de noblesse. Bien qu’elle reste considérée comme un genre inférieur aux autres, elle est enfin intégrée dans les programmes d’études artistiques pour apprendre à copier les éléments propres à la nature. Ce revirement s’opère surtout grâce au développement de la vision scientifique sur la faune et la flore. Les compositions deviennent alors plus précises, plus méticuleuses et ce, jusqu’à l’apparition des expériences de Joaquin Sorolla y Bastida avec ses fleurs qui commencent à se délayer dans la lumière qui les englobe et qui annoncent de ce fait la modernité qu’apporteront les mouvements d’avant-gardes du XXe siècle.

    Joaquín Sorolla y Bastida, Roses blanches de mon jardin, 1920, Huile sur toile, Museo Sorolla, Madrid, Espagne

    Enfin, la modernité remet la nature morte au centre des préoccupations parce qu’elle devient une expression majeure du décor, expression qui a été annoncée par la révolution visuelle amenée par le Cubisme. Avec sa décomposition des formes qui transforme radicalement la manière de représenter celles-ci, les objets se confondent avec le décor, dans une déconstruction systématique des formes. Arrive alors le Surréalisme qui se développe durant la deuxième moitié du XXe siècle pour repousser encore plus loin les limites de l’art figuratif. Avec Joan Miró mais aussi Dalí, les objets du quotidien sont mis en scène dans des visions que l’on pourrait qualifier d’hallucinées. Ce sont eux les stars de ces tableaux jusqu’à ce qu’on aborde le virage de l’Abstraction où les formes, même diluées, n’ont plus vraiment leur place.

    Joan Miró, Nature morte avec vielle chaussure, 1937, Huile sur toile, Museum of Modern Art, New York, Etats-Unis

    Spanish Still Life est donc une exposition assez intéressante mais une gageure aussi tant la nature morte reste un genre peu apprécié et très condensée, on en a vite fait le tour. Néanmoins, il y a quelques perles qu’on aurait pas forcément l’occasion d’aller observer dans les musées où elles sont exposées habituellement même si ce ne sont pas les chefs-d’oeuvre de leurs artistes puisqu’elles sont généralement exécutées en perspective de travaux plus considérables. Cela dit, Spanish Still Life présente un intérêt certain pour tous les amoureux d’histoire de l’art. Alors, si c’est votre cas, dépêchez-vous : l’exposition se clôture bientôt!

    Daphné Troniseck
    Daphné Troniseck
    Journaliste du Suricate Magazine

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