More

    Poutine – L’homme que l’Occident aime haïr de Nina Bachkatov

    auteur : Nina Bachkatov
    édition : Jourdan
    sortie : février 2018
    genre : essai

    Cela n’aura échappé à personne, Vladimir Poutine est dans le collimateur de l’Occident depuis son arrivée au pouvoir. Adoré par les uns, haï par les autres, l’ex agent KGB laisse rarement indifférent. L’homme réservé au regard perçant est plus qu’un mystère pour bon nombre d’Occidentaux. Il intrigue autant qu’il inquiète. Certains le comparent même à une poupée russe : ils existeraient, selon eux, plusieurs Poutine. Près de vingt après son ascension à la tête du Kremlin, il demeure plus que jamais un homme fort qui ne lâche rien.

    C’est qu’au fil des années, la méfiance et la peur se sont substituées à l’espoir d’un dialogue constructif à l’Est comme à l’Ouest ; chacun ayant retrouvé ses vieux réflexes de la Guerre Froide. Peu à peu, Poutine a fini par lester son action d’un discours anti-occidental perçu comme une menace pour nos valeurs. Mais qu’en est-il vraiment ?

    Dans son dernier livre, la journaliste et politologue, Nina Bachkatov, décrypte avec précision Poutine et les réactions qu’il suscite. Elle apporte un éclairage particulier sur le courant qui porte son nom « le poutinisme ». A travers des recherches très documentées, cette spécialiste de la Russie a tenté d’esquisser un portrait vérité de l’homme qui, en secret, rêve d’être un nouveau tsar. On suit les traces de son arrivée au pouvoir en 2000 comme héritier désigné de Boris Eltsine jusqu’à son quatrième mandat présidentiel.

    Nina Bachkatov s’attarde sur l’image de l’homme qui n’a pas oublié d’où il vient mais qui se considère aussi comme le sauveur du pays. On en apprend un peu plus sur son ancienne carrière professionnelle à Saint-Pétersbourg, sa ville fétiche où il a fait ses armes en finance internationale et où il s’est habitué à gérer la corruption. Arrivé au Kremlin, Poutine est considéré par l’Occident comme un apparatchik terne mais les Russes commencent à l’apprécier. Il met en avant sa loyauté, son contrôle de soi, son goût du dur labeur, sa dévotion à la revitalisation de la Russie pour rassurer ceux qui ont peur du désordre. Et si la guerre en Tchétchénie a laminé son image à l’étranger où on le surnomme « le boucher du Caucase », Poutine s’impose chez lui comme l’homme fort qui fait la guerre pour avoir la paix.

    En tant que correspondante permanente à Moscou, Nina Bachkatov a passé une trentaine d’années à sillonner l’ex-URSS et à tenter de définir l’âme russe. Lors de ses pérégrinations, elle a notamment remarqué que la doctrine sociale conservatrice de Poutine parle surtout à une classe moyenne mais commence à fatiguer les élites intellectuelles de la nouvelle génération, aux mœurs différentes. Ces jeunes qui n’ont pas connu la période soviétique ne se retrouvent pas vraiment dans sa ligne conservatrice. Fort de ses derniers résultats électoraux, Poutine, l’homme qui dure, va donc devoir s’adapter aux demandes de cette nouvelle classe s’il veut incarner autre chose que la stagnation.

    La journaliste démonte également les préjugés et les fausses informations sur la vision politique de Poutine (libéral étatiste, internationaliste souverainiste, hyper russe, démocrate illibéral). Avec des mots justes et forts, elle revient sur ses échecs et ses erreurs, détaille ses réussites. Elle passe au crible ses relations complexes avec l’Occident à travers différentes crises (Syrie, Ukraine, Corée), la question des valeurs, les élargissements de l’Otan, les révolutions colorées, la guerre hybride, la guerre de l’info… L’auteure analyse avec acuité l’évolution de la conception du pouvoir de Poutine et les moyens qu’il met en oeuvre pour replacer la Russie au cœur de la politique mondiale. Elle témoigne dans ce livre très fouillé d’une connaissance approfondie de la politique russe. On est notamment frappé par la densité de la bibliographie pour un si bref ouvrage (228 références pour 200 pages).

    A l’heure où le président russe est fortement décrié en Occident pour sa possible implication dans l’empoisonnement d’un agent secret en Grande-Bretagne, Nina Bachkatov dresse un portrait sans concession, mais aussi sans condamnation, de Poutine et apporte un contrepoint bien utile aux idées toutes faites délivrées par nos médias.

    Derniers Articles