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    Marc Dugain : « Pour diriger des enfants, il faut déjà aimer les enfants »

    A l’occasion de son séjour à Bruxelles, nous avons rencontré le romancier et réalisateur Marc Dugain pour qu’il nous révèle les enjeux qui l’ont inspiré pour réalisé « L’échange des princesses », un film d’époque chargé d’histoire et riche d’esthétisme.

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    Il est évident que vous êtes un excellent réalisateur, non seulement pour la qualité de l’oeuvre en tant que telle, mais aussi parce que vous avez réussi à faire travailler des acteurs très jeunes qui doivent incarner des personnages importants en laissant transparaître la psychologie particulière des enfants préparés à régner, c’est-à-dire obligés de s’adapter à un monde adulte tout en baignant encore dans les problématiques liées à l’enfance. Comment avez-vous procédé pour aider ces jeunes acteurs à entrer dans leur rôle et à garder une continuité durant le tournage des différentes scènes ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette tâche ?

    M.D. : C’est une vraie bonne question, parce que toute la question avec les enfants c’est que leurs personnages sont en évolution, particulièrement celui de Louis XV qui est quand même un roi, mais aussi celui de Luis. Il leur fallait comprendre comment leur personnage évolue. J’ai trouvé que Igor Van Dessel avait une vraie intelligence, quelque chose de très naturel dans la compréhension de son personnage. Il a été tout de suite impressionnant. Bon, je les ai aussi beaucoup dirigés, beaucoup préparés, j’ai travaillé avec eux et j’avais un répétiteur. Mais je n’ai jamais eu d’inquiétude, ils ont senti que je leur faisais confiance et ça s’est très bien passé.

    Cela se voit dans leur yeux, leur personnages vivent vraiment…

    M.D. : Pour diriger des enfants comme ça, il faut déjà aimer les enfants. D’ailleurs, il y a un de mes enfants qui joue dedans aussi, et c’est vrai que pour moi c’était génial. C’est aussi un des grands plaisirs du film que de faire jouer des enfants au milieu de grands acteurs, qui en plus les tiraient. Quand c’est réussi, ça marche vraiment.

    C’est très réussi, c’est impressionnant ! D’ailleurs, qu’est-ce qui a retenu votre attention dans le choix des acteurs ? Etiez-vous à la recherche de caractéristiques spécifiques qui correspondaient par exemple au roman, ou vous êtes-vous laissé porter par l’inspiration du moment ?

    M. D. : C’est un mélange de tout ça. D’abord, il y a le personnage du roman, après je l’ai reconfiguré par rapport au film, et ensuite les enfants s’approprient des personnages. A aucun moment l’un d’eux n’a pris une direction que j’ai été obligé de rectifier. C’est marrant, parce que les enfants on leur dit un truc et ils rectifient aussitôt. C’est très instinctif, c’est très particulier. Ça donne envie de faire un film dont le personnage principal est un enfant, j’ai en effet un projet de faire tourner un jeune garçon de l’âge d’Igor. C’est tellement une grâce de jouer avec des mômes, ça amène quelque chose. Même si j’adore tourner avec les adultes.

    Vous êtes vous-même romancier, qu’est-ce qui vous a intrigué dans le roman de Chantal Thomas et qui vous a poussé à en réaliser une adaptation cinématographique ?

    M.D. : Ce qui m’a amené à l’adapter, c’était d’abord l’opportunité de faire un film d’époque. Ce qui aujourd’hui est très compliqué à faire. Il faut être vraiment sûr de son sujet, parce que ça coûte très cher et c’est très compliqué en termes de moyens et d’organisation. J’ai toujours voulu faire un film d’époque et cette occasion elle est arrivée là, comme ça, par ce livre. Il y avait d’autres choses qui me plaisaient : la thématique, le traitement des enfants au XVIIIe siècle, et puis cette représentation du XVIIIe siècle. C’est quand même un siècle d’esthétique formidable, et sans l’esthétique c’est moins attrayant. Tout cela fait qu’à un moment, on se dit : « bon, on y va ! ». Sachant que c’est hyper risqué, parce qu’on est partis pour deux ou trois ans de sa vie en se disant : « j’espère que je n’aurai pas de regrets ».

    En même temps vous avez trouvé une harmonie, un équilibre entre l’esthétique et la cruauté de la vie. Vous avez collaboré avec Chantal Thomas pour l’écriture du scénario, était-ce important pour vous de rester fidèle à la manière dont l’histoire est racontée dans le roman ou y a-t-il des aspects que vous avez préféré présenter différemment, des questions que vous avez décidé de laisser de côté pour en approfondir d’autres ?

    M. D. : A partir du moment où vous adaptez un roman, il faut que les choses soient bien claires. Si c’est pour l’adapter littéralement, il ne faut pas faire un film. Qu’est-ce qu’apporte un film si le livre est magnifique et qu’il n’y a aucune latitude par rapport à celui-ci pour amener son propre imaginaire et celui du réalisateur ; sa propre esthétique des choses, sa propre mise en scène. Moi, j’ai pris le livre en le respectant beaucoup. Chantal a travaillé avec moi, elle m’a assisté et conseillé plus qu’elle n’a co-scénarisé. J’ai pris les personnages à la dimension à laquelle je voulais les prendre. Moi, je fais une œuvre de fiction, elle, elle a fait une œuvre historique, de fiction mais quand même basée très fortement sur l’Histoire. De mon côté, j’ai donc réalisé une œuvre de fiction basée sur une autre œuvre de fiction en restant quand même très proche de l’histoire. Mais en tout cas, en prenant les libertés qui étaient les miennes, sans jamais trahir l’histoire. Ça c’est bien passé comme cela. Ça m’a suffisamment inspiré, sans la trahir. Un équilibre s’est fait. Aujourd’hui, si elle parle aussi bien du film, ce doit être parce qu’elle a eu le sentiment que j’ai pris ma place sans gêner la sienne. Si j’avais senti au début avec Chantal Thomas que ça ne fonctionnait pas, que ça allait la froisser, que la vision que j’avais de son livre ne lui allait pas, j’aurais tout de suite arrêté.

    En effet, tout le film respire d’une beauté poétique: les décors, les costumes, les plans harmonieux, les temps… L’aviez-vous pensé comme une oeuvre d’art avec ce côté contemplatif ?

    M. D. : Le côté contemplatif, je suis d’accord avec vous, c’est-à-dire le temps, les silences, j’avais très envie de ça. Et c’est vrai que tant qu’à faire un film, j’avais envie d’aller plus vers l’art que vers la narration, si vous voyez ce que je veux dire. Plus vers l’esthétique des choses. Et rester dans un réalisme mais avec des plans qui sortent un peu du réel aussi. Je montre l’histoire, mais en même temps elle sort de mon imaginaire. Et donc oui, il y avait une vraie ambition esthétique. Je pense que je n’aurais pas fait un film uniquement pour les raisons politiques qui sont dedans. Ça n’aurait pas suffi. Parfois l’énigme suffit, la résolution de l’énigme éclaire tout le film. Mais là non, l’histoire me plaisait beaucoup, mais il fallait la remettre dans une perspective.

    D’ailleurs, la première scène ressemble à un tableau, comme si l’on était au musée et qu’en admirant une œuvre, on entre dans son histoire. Était-ce une recherche ou avez-vous eu une inspiration ?

    M. D. : En plus, c’est la seule scène que j’ai écrite une demi-heure avant le tournage. Elle ne fonctionnait pas avec celle que j’avais écrite au départ. Donc je l’ai réécrite avec ce travelling. C’était l’inspiration du moment. J’avais une demi-heure sur le plateau et je me dis je vais faire comme ça. C’est mon fils qui est dans le lit, et je me suis dit je vais reculer, on va découvrir la scène et on va comprendre ce qu’il se passe. On va tout avoir juste sur un mouvement de caméra. J’aime beaucoup ça au cinéma. Il y a un truc important quand on fait un film, c’est qu’il faut faire quelque chose d’élégant. Moi, je ne suis pas pour les films qui se roulent dedans, un peu trash. Non, je connais déjà tout ça et ça ne m’intéresse pas. Tous ces aspects de l’humanité, je ne vais pas les revisiter. Je préfère aller vers le mieux, vers le plus beau.

    Oui, et de plus, je trouve qu’il y a une certaine distance, un certain respect par rapport au vécu de chaque personnage. Il n’y a pas une expression lyrique de tout ce qu’ils vivent. Ce respect maintient l’impression d’être devant un tableau vivant.

    M. D. : Oui c’est un peu ce que je voulais. Jusqu’à maintenant, on a eu 99% de critiques excellentes sur le film en France. Mais je sais qu’il y a un ou deux critiques que je connais qui ont trouvé cet esthétisme lassant. Je comprends très bien, mais visiblement c’est très minoritaire et tant mieux.

    C’est peut-être déstabilisant par rapport à certaines habitudes…

    M. D. : C’est déstabilisant parce qu’aujourd’hui certains critiques sont habitués à des compromis, en particulier sur l’Histoire : on modernise tout de suite. Il y a un code aujourd’hui qui serait qu’on ne pourrait pas traiter l’Histoire au cinéma sans qu’il y ait un lien très fort à la modernité. Si vous ne ramenez pas l’histoire dans le champ du présent ou même de l’actualité – ce qui est encore plus démago – alors là, c’est pas intéressant ! Comme si l’Histoire n’avait pas d’intérêt en elle-même. Alors que l’Histoire est passionnante, elle n’a pas besoin de la réalité de ce qu’on vit aujourd’hui. Après, bien sûr qu’il y a un lien : nous sommes la même espèce, une espèce qui est en train de se détruire et qui disparaîtra.

    Nous n’avons pas tellement changé..

    M. D. : Non, et ce qui est intéressant, c’est la permanence des choses. Ce côté reptilien, cet attachement à la propriété, au royaume, à la descendance, aux enfants, à la transmission, à la guerre pour prendre le territoire, aux femmes qu’on prend uniquement pour la reproduction, aux enfants qu’on ne considère pas comme des enfants et qu’on veut déjà manipuler ; des enfants qu’on prétend être des adultes… Tout cela existe toujours, c’est exactement la même chose. Mettez un enfant aujourd’hui qui hérite d’un empire industriel à 12 ans, vous allez voir comment se comportent les adultes autour de lui. Rien n’a changé. Et cet enfermement des ultra-riches dans leur monde, que ce soit sur des yachts ou autres, c’est exactement la même chose. La modernité, ce n’est pas la peine d’essayer de faire le lien, elle est en nous.

    Parlons un peu de la bande originale de l’oeuvre. Le choix musical néo-baroque est excellent et se marie bien avec l’atmosphère du film, avez-vous travaillé à la composition avec Marc Tomasi ? Aviez-vous donné certaines idées ou directives ? Que vouliez-vous transmettre ou accentuer avec l’ambiance musicale ?

    M. D. : Marc Tomasi est un grand ami à moi, c’est un compositeur que j’aime beaucoup. On a eu la chance de faire la musique avec la London Symphony Orchestra. Ils ont trouvé la musique belle et ont accepté, alors qu’ils n’acceptent pas tout. Marc Tomasi, c’est vraiment quelqu’un de très créatif, qui avait fait déjà de la musique moderne de film. Là, il a fait une musique que j’ai adorée et que j’ai continué à écouter en dehors du film. Je me la passe et ça me rappelle plein de choses. En fait, je ne lui ai pas donné de pistes. Au départ, il a pris les images et c’est lui qui m’a montré les pistes. Ensuite, je lui ai dit : « oui, on va dans cette direction, non pas dans celle-là ». Je ne voulais pas trop de violons aigus par exemple. J’ai été instrumentiste, donc j’ai quelques notions de musique, et pas mal en baroque. Et oui, nous avons travaillé ensemble derrière sa console dans le studio d’enregistrement, mais vraiment en toute liberté tous les deux. Par exemple, je lui ai dit que je ne voulais pas trop de piano. Le risque d’un film comme celui-ci, c’est d’avoir du piano du début jusqu’à la fin. J’aime le piano mais s’il en faut, on en met que très peu et ça prendra plus de valeur. Voilà, ce sont des choses comme ça, mais après dans la composition elle-même je ne suis pas entré.

    Vous avez été sur la même longueur d’ondes, il y eu une bonne alchimie, car tous les sentiments qui ne sont pas nécessairement exprimés par les personnages, mais qui sont contenus et qu’on ne voit que dans leur regard, ou que l’on déduit par rapport à ce qu’ils vivent, sont bien exprimés par la musique.

    M. D. : Oui, parce que la musique, c’est une langue à part dans un film. Si elle sert uniquement de pléonasme, ou à appuyer, ça veut dire qu’on a pas confiance dans l’image ou dans les dialogues. Et du coup, on met la musique en se disant : « voilà, s’ils n’ont pas compris, là pour le coup, ils vont vraiment comprendre ! ». Et ça, ce n’est pas bon. Moi, j’ai voulu faire en sorte que Marc accompagne le film avec la musique, je me suis interdit que la musique vienne surligner des émotions avec des pléonasmes, mais que la musique ne devienne pas non plus un personnage en tant que tel. Comme dans Barry Lyndon, ça c’était volontaire, mais pour le coup, je ne voulais pas entrer dans la même démarche. C’est une création musicale. Evidement, c’était risqué mais j’ai trouvé qu’elle était vraiment bien.

    Cela s’est merveilleusement mêlé avec l’ambiance du film. Celui-ci est tellement bien réussi qu’il sera davantage impressionnant de le voir sur grand écran au cinéma.

    M. D. : Ah oui, surtout maintenant, à Paris, la société Eclair a sorti un nouveau projecteur et m’a montré le film avec celui-ci… alors là, ça dépasse tout. En France, il y a cinquante salles qui est équipée de ce projecteur. C’est vrai que lorsqu’on on fait un film comme celui-ci, purement esthétique, on est content de le voir mis en valeur.

    Donata Vilardi
    Donata Vilardi
    Journaliste du Suricate Magazine

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