Texte de Thomas Gunzig, de Michèle-Anne de Mey, Jaco Van Dormael et le collectif Kiss & Cry, du 12 au 23 décembre 2017 au Théâtre National.
Cold Blood est un spectacle qui nous parle de mourir… mais il le fait avec tendresse, douceur et poésie. Plusieurs morts sont évoquées, à tour de rôle, dans une succession de tableaux oniriques et sensibles. Mort stupide, mort volontaire, mort accidentelle, mort cocasse…
Aux commandes de ce voyage aux confins de nos vies : Jaco Van Dormael en personne, et Michèle-Anne De Mey, la chorégraphe. Dès lors qu’ils ont décidé d’investir ensemble les planches, la question de l’espace ne pouvait être qu’au cœur des préoccupations. De l’espace, il en fallait pour tout le monde… pour la danse et le septième art !
Alors, l’espace ils l’ont divisé. Ou plutôt ils l’ont partagé. En haut : une projection, un produit fini. En bas : un work in progress où les deux s’activent, l’un au service de l’autre. A l’instar de Fellini qui avait souhaité nous montrer la formidable machinerie de « Et vogue le navire » juste avant de conclure son film, Jaco Van Dormael nous donne à voir son univers : l’envers du décor. Il endosse son costume de réalisateur afin de produire sous nos yeux un long-métrage.
Comment réaliser ce tour de force ? Voici la première bonne idée : la miniaturisation. Les décors filmés en bas et projetés en haut se sont faits tout petits. Nous voici dans l’enfance, sa douceur, son insouciance… La magie du miniature opère et chaque détail devient le vers d’une poésie. Une légèreté propice à parler d’un sujet aussi lourd que la mort. Côté pratique, miniaturiser permet de proposer une farandole de décors, tous plus magiques les uns que les autres. Un superbe travail de maquettisme et de patience. Le nouveau point de vue que saisit la caméra sur ces fragments de décors change notre rapport dichotomique et brutal à la scène.
Jouer avec le rapport d’échelle est une pratique courante au théâtre. Dès lors que l’on veut mettre l’emphase sur quelque chose, on modifie la taille d’un objet. Démesuré, il prend du galon et peut devenir drôle ou menaçant. Dans Cold Blood, la tricherie à l’échelle est pratiquée par deux fois : d’abord, il y le rapetissement. Ensuite vient la projection sur grand écran. Symboliquement, les petites choses ont la plus grande importance !
Avec Michèle-Anne De Mey dans le cockpit, voici l’autre bonne idée : faire s’exprimer… des mains ! Pourtant rattachée à un corps humain, une main seule est presque neutre. Si l’on peut s’identifier à un acteur, au travers des mains, on se projette sur scène ! Et comme le toucher est peut-être notre sens le plus intime, la main n’a nul autre pareil pour exprimer la délicatesse, la tendresse… A les voir danser ainsi, on jurerait par moments reconnaître des silhouettes entières. Aussi, dans ces décors exigus, les mains ne prennent que la place nécessaire.
Mais Cold Blood, ce n’est pas qu’une succession de bonnes idées. La somme du tout a largement dépassé les parties. Suspendu entre l’essentiel et l’irréel, chaque nouvelle mort est un miroir promené sur la vie et sa fébrilité. Tout y est : la bande son d’un grand film ; le propos éthéré qui, par essence, ne peut laisser personne indifférent; la réalisation soignée au petit oignons. Il semble qu’au bout du compte, chaque choix opéré pour servir le spectacle revêt le manteau mystificateur de l’évidence. Et pourtant, on ne va pas se mentir, faire jouer des mains pendant 1h15 et se dire que ça va être bien, c’était un pari risqué !