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    J’abandonne une partie de moi que j’adapte : du cinéma-vérité au théâtre vérité

    Un projet initié et mis en scène par Justine Lequette  avec Rémi Faure, Benjamin Lichou, Jules Puibaraud, Léa Romagny. Une Création Studio Théâtre National, jusqu’au 2 décembre.

     

    En 1960 Jean Edgar Morin et Jean Rouch réalisaient Chronique d’un été qui représente la première expérience de cinéma-vérité dans l’histoire du cinéma français. Dans ce film, les deux réalisateurs posent des questions aux Parisiens, concernant leur manière de vivre la vie, de percevoir le bonheur, de se relationnel avec les autres et de trouver sa propre place dans la société. Presque 60 ans après, des thématiques pareilles restent (plus que jamais) d’actualité. La jeune comédienne et metteuse en scène Justine Lequette prend l’inspiration de ce film et propose « J’abandonne une partie de moi que j’adapte », un spectacle dynamique et intelligent qui questionne le sens de la vie dans la société contemporaine ainsi que la fonction du théâtre.

    Le spectacle semble commencer déjà avant l’arrivée des spectateurs dans la salle. En effet, on est accueilli par une comédienne sur une balançoire, l’air enfantin et le regard coquin. Quand tout le monde est bien installé, elle commence à partager sa vision de la vie et surtout de la vie adulte. « Pourquoi il faut travailler ? » : cette question, répétée plusieurs fois, réveille un regard d’enfant qui n’a pas d’a priori, un enfant pour lequel le fait de se lever tous les jours à la même heure pour aller faire le même travail, n’est pas un acquis.

    Rejouant quelques passages du film et en proposant des nouvelles scènes Justine Lequette et ses quatre comédiens mettent en lumière la relation entre le bonheur et l’époque dans laquelle l’on vit. L’épanouissement et le bien-être sont des thématiques qui traversent toutes les époques mais, en même temps, sont aussi le produit des époques mêmes. Le changement sociétal, sa vitesse et son impact, sont traduits sur scène au travers du mouvement fluide et intrigant de la scénographie qui est conçue quasi entièrement sur roulettes.

    Dans cet espace changeant, les comédiens jouent entre eux et avec le public d’une manière tonique et joyeuse. « J’abandonne une partie de moi que j’adapte » est une création collective issue d’une pratique d’écriture de plateau très aboutie et d’une dynamique collective formidable. L’exceptionnelle syntonie qu’il y a dans le groupe rend le spectacle fluide et naturel et permet de souligner le talent individuel des comédiens.

    Cette création est une bouffée d’air frais. Le questionnement sur la poursuite du bonheur dans la société y est abordé d’une manière novatrice et énergique. Tout le monde, dans la salle et sur la scène est conscient d’être au théâtre et tout mécanisme scénique est dévoilé aux yeux des spectateurs. On utilise la fiction pour rapprocher le regard du spectateur d’une certaine réalité sociale que parfois on oublie. Justine Lequette restitue au théâtre son rôle social en réussissant un spectacle décalé, un peu nostalgique et décidément ironique.

    Elisa De Angelis
    Elisa De Angelis
    Journaliste du Suricate Magazine

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