D’après Platon, mise en scène de Pauline d’Ollon, avec Pierange Buondelmonte, Adrien Drumel, Philippe Grand’Henry, Anne-Marie Loop, Achille Ridolfi, Jérémie Siska. Du 17 au 28/10/2017 au Théâtre des Martyrs.
Une invitation à un banquet, ça ne se refuse pas, surtout s’il est question de nourrir une réflexion philosophique par le rire et l’émotion. Alors que le nihilisme est plus que jamais dans l’air du temps, la jeune metteure en scène Pauline d’Ollone nous propose un moment d’arrêt et de questionnement salutaire sur le beau, l’amour et les dangers de la rhétorique. Au départ d’un texte millénaire, le célèbre « Banquet » de Platon, elle revisite des époques lointaines pour créer un trouble, démonter la pensée et les mécanismes de séduction des discours à l’idéologie dangereuse. Dans son spectacle au ton vif et inventif, elle interroge les Anciens tout en multipliant les anachronismes pour mieux nous aider à voir au-delà des apparences.
C’est soir de fête. Le jeune poète Agathon invite ses amis pour célébrer le succès de sa dernière tragédie. Il a réuni les plus grands orateurs de la cité : Phèdre, Pausanias, Eryximaque, Aristophane, Socrate et Alcibiade. Très vite, un concours d’éloquence est organisé pour permettre à ces brillants parleurs de rivaliser en imagination et en joutes verbales. Le sujet ? L’amour, bien sûr. Celui qui en fera le plus bel éloge gagnera. Les convives prennent tour à tour la parole. Ces joyeux fêtards ne sont pas avares de bons mots et ne craignent pas le désordre. Les discours s’additionnent, se complètent, se suivent et se répondent dans un impressionnant maelstrom. La parole tantôt lyrique, tantôt prosaïque fait le grand écart entre truculence et raffinement. Pour tout vous dire, on y entend bien sûr beaucoup d’alexandrins mais aussi des éructations !
Pour aider le spectateur à exercer son esprit critique, Pauline d’Ollone y a ajouté le rôle du contradicteur qui met en lumière les discriminations et intolérances de Pausanias, dans sa volonté de créer des normes et des hiérarchies entre les personnes (racisme, inégalité homme/femme, mépris de la province), et nous apporte un éclairage contemporain. Enivrés par la surenchère de discours, certains se perdent dans des envolées délirantes. D’autres envoûtent en mariant séduction et manipulation dans leur éloge. C’est le cas du beau et talentueux Agathon qui démarre son discours (l’amour est jeune, l’amour est beau) avec beaucoup d’emphase pour le terminer en chanson dans un grec ancien endiablé. Mais Socrate veille au grain. Constamment à la recherche de la vérité, il n’hésite pas à démonter les discours qui se vident de sens.
Après avoir investi le Théâtre de la Vie, il y a deux ans, dans un cadre intime qui permettait une relation privilégiée et directe avec le spectateur, la troupe fait son entrée au théâtre des Martyrs. Dans la grande salle, le rapport au public est différent mais les comédiens instaurent un lien fort entre la scène et les spectateurs par leur jeu généreux et large. Installés dans un décor de petit théâtre antique qui se démonte au gré des discours, ils prennent un plaisir évident à porter vers nous ce beau texte aux résonances actuelles. Tous incarnent leur rôle avec passion. A commencer par Anne-Marie Loop, lumineuse et protéiforme (la joueuse de flûte, le contradicteur et Diotime) qui porte magnifiquement le texte de la prophétesse. Toujours d’une grande finesse, elle nous enchante par la délicatesse et la limpidité de sa langue lors de ses échanges avec Socrate. Philippe Grand’Henry (Socrate) est plus que convaincant dans ses dialogues, cherchant avec ferveur un interlocuteur capable de l’aider à progresser dans la quête de la vérité. Les autres jeunes comédiens ne sont pas non plus en reste. Achille Ridolfi nous conte le célèbre mythe d’Aristophane et la théorie de l’âme-sœur avec une rhétorique gracieuse. Pierange Buondelmonte en Eryximaque joue un médecin troublant qui déraille un peu. Quant à Jérémie Siska et Adrien Drumel, ils dépeignent l’amour (et ses blessures) avec beaucoup d’exaltation.
A la fois drôle et subtil, le spectacle de Pauline d’Ollone multiplie les pistes de réflexion, fait appel à la liberté de l’esprit critique. On peut également voir la pièce comme une porte d’entrée vivante et accessible dans la philosophie et dans l’œuvre de Platon. Bref, Reflets d’un banquet est un spectacle dont on ne peut que faire l’éloge.