auteur: Gregory David Roberts
édition: J’ai Lu
sortie: janvier 2017
genre: roman
Portrait d’une Inde sublime et cruelle, quête obstinée d’amour et de rédemption, parcours initiatique traversant les flots de cash mafieux, les ruelles des bidonvilles où le sordide tutoie la dignité, les perversions poisseuses de l’héroïne, jusqu’aux calvaires des cellules de prison emplies de parasites et des champs de bataille moyen-orientaux, le tout sous la forme d’un conte philosophique, tel est Shantaram. Ce best-seller mondial traduit en 31 langues et publié dans une centaine de pays, peine encore à se faire connaître en terre francophone. L’aspect le plus fou de cet objet littéraire hors normes, c’est qu’il est en bonne partie autobiographique…
Anarchiste australien aux idéaux dévoyés par l’héroïne, braqueur, taulard puis fugitif, le protagoniste de Shantaram, dont on ne connaîtra jamais l’identité, débarque à Bombay au début des années 80 sous le faux nom de Lindsay Ford. Dans le bouillonnement perpétuel de la ville, il fait peau neuve et devient Lin, mais c’est de l’intérieur que vont s’opérer les changements les plus violents.
Comment trouver une place dans ce monde nouveau alors qu’il est clandestin ? Sous la menace constante de l’extradition, il bascule d’une famille à l’autre, fréquente un groupe d’expatriés longue durée, devient le médecin de fortune d’un bidonville et se rapproche du crime organisé. Les expats lui refilent les bons tuyaux pour tenir le coup. Le bidonville lui enseigne un nouveau code moral indispensable à sa survie. Avec la mafia, il découvre les rouages secrets qui font tourner Bombay.
Surtout ne pas se faire reprendre, devenir quelqu’un, si possible quelqu’un de bien, mais ne pas retourner un seul jour en prison. Sa nouvelle liberté lui interdit d’avoir un passé. Une seule direction s’offre lui : s’enfoncer toujours plus profondément dans le ventre de l’Inde. Partout, il cherche les moyens d’une rédemption dont il ignore si elle est même possible. La mort, la misère, la jouissance et la cruauté, jalonnent son parcours. Sous les traits d’un parrain de la pègre, il rencontre un nouveau père pour lequel il voudra mourir et fera la guerre. Ses amitiés lui font passer les frontières du dégoût et du jugement. Son obsession pour une femme le conduit au-delà de lui-même, vers une vérité si terrible qu’elle pourrait tout détruire.
Dès les premières lignes, Shantaram annonce la couleur :
Il m’a fallu du temps et presque le tour du monde pour apprendre ce que je sais de l’amour et du destin, et des choix que nous faisons, mais le cœur de tout cela m’a été révélé en un instant, alors que j’étais enchaîné à un mur et torturé. Je me suis rendu compte, d’une certaine façon, à travers les hurlements de mon esprit, qu’en dépit de ma vulnérabilité, de mes blessures et de mes chaînes, j’étais libre : libre de haïr les hommes qui me torturaient, ou de leur pardonner.
Déferlante littéraire
Shantaram, c’est un peu cette vague que vous contemplez avec un air de défi et qui vous laisse cul nu sur la plage. Un texte qui en impose par ses 1081 pages et vous tombe dessus comme une déferlante de goûts, de sentiments, d’odeurs, d’images, pour finir par vous laisser cœur et tête retournés.
Gregory David Robert (GDR par la suite) fait du foisonnement de son texte une force. La multiplication des personnages et des situations ne désoriente pas. Au contraire, elle donne une vraie force d’entraînement à l’intrigue. Comme Lin, le lecteur se retrouve happé par la tentaculaire Bombay, alerte comme seul peut l’être un fugitif, trop conscient que tout peut basculer à chaque coin de rue, à chaque rencontre. Que ceux qui pourrait être découragés par le format de Shantaram se rassurent, seul le poids du livre dans vos mains vous rappellera parfois qu’il s’agit d’un « gros bouquin ».
L’auteur utilise son personnage pour partager avec le lecteur ses découvertes. Il ne se pose jamais en baroudeur lourdingue « je vais te la montrer moi l’Inde ». À l’inverse, il met en scène son ignorance. Sa joie lorsqu’il parvient à communiquer d’un hochement de tête à l’indienne, sa douleur lorsqu’il blesse sans l’avoir voulu ceux qui partage avec lui le peu qu’ils ont.
Le texte possède une aussi une surprenante qualité littéraire, préservée par l’excellent travail de traduction de Pierre Gugliemina, et ne se contente pas d’être un simple récit d’aventures. Sur le plan du style, Shantaram fourmille de trouvailles heureuses et passe avec légèreté du dialogue philosophique au roman noir.
Fait ou fiction ?
Tout au long du texte, on ne peut se retenir de se demander : est-ce que c’est vrai ? Bien que GDR ait clairement défini son texte comme une fiction, l’aspect autobiographique participe indéniablement à l’aura de Shantaram.
Effectivement, GDR était connu en Australie comme le « Gentleman Bandit », responsable d’une série de braquages de banques à l’aide d’une arme factice pour laquelle il sera condamné à 19 ans de détention. L’anarchisme, l’héroïne, l’évasion, le départ pour l’Inde avec de faux papiers, l’implication avec la mafia figurent aussi sur la liste des points communs entre Lin et son auteur.
Après 10 ans de cavale, GDR est arrêté en Allemagne et c’est en prison qu’il rédige Shantaram. Un projet qui lui prendra 13 ans. Les deux premières versions de son texte seront détruites par ses gardiens (environ 6 ans d’écriture et 600 pages). Il recommence alors à la première ligne. S’il n’avait pas eu quelque chose de capital à communiquer, il se serait tu et c’est ça que l’on sent dans Shantaram. Alors fait ou fiction ? Qu’importe…
Une adaptation cinématographique est en cours de développement depuis un bon moment déjà. Johnny Depp devait prendre le rôle de Lin, puis Joel Edgerton à été annoncé avec Garth Davis à la réalisation. Pour le moment, aucune date officielle de sortie n’a été communiquée.
Retiré de la vie publique depuis 2014, GDR a écrit la suite de Shantaram, L’Ombre de la montagne, publié en 2017 chez Flammarion.