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    Rencontre avec André STAS à l’occasion de son exposition de DESSINS à la Zwarte Panter

    Il y a moins d’une heure, s’est ouverte ta nouvelle exposition à la Zwarte Panter. Ce n’est pas la première fois que tu y exposes, peux-tu me raconter l’histoire de ta rencontre avec la célèbre galerie anversoise et son directeur Adriaan Raemdonck ? 

    L’opportunité d’exposer à la Zwarte vient du fait que je travaille depuis longtemps avec la galerie d’Alain de Wasseige en sa galerie 100 Titres. En 2002, Alain a proposé à Adrian l’exposition Les Trois Mousquetaires qu’on avait présentée précédemment, Roberto Olivero, Franck Maieu et moi. Franck est Anversois et travaillait déjà avec cette galerie. Il y avait les sculptures d’Olivero, les grandes toiles de Maieu et mes collages. Donc, la première fois, on était trois. Ça a super bien marché et la décision a été prise de réitérer l’expérience tous les deux ans pendant l’été où je montre mes productions des deux dernières années. Je me retrouve sous le couvert de la galerie 100 Titres invité par la Zwarte Panter. Et puis, on a été quatre, cinq et, cette année, on est sept. Les partenaires varient ; certains sont constants, d’autres changent.

    Si tes précédentes expositions présentaient exclusivement des collages, celle-ci s’en distingue par ta volonté d’y montrer exclusivement des dessins ! Pourquoi ce choix ?

    Eh ben parce que la dernière fois (il y a deux ans), j’avais fait une série de collages sur l’Atlantide et une grande série sur la biographie de Philippe Neri, fondateur de l’Oratoire. Il y avait soixante collages absolument poussés à l’excès. Je crois que ne je pouvais pas aller plus loin d’un point de vue technique. Et, ça a été un fiasco total. Sur toute l’expo, j’ai vendu trois collages. Je n’ai pas fait mes frais, ce qui n’a jamais été le cas les années précédentes. Assez déçu, j’ai dit : « Puisque c’est comme ça, je ne fais plus de collages ! » Je suis allé tout stocker dans le garage de ma mère. Je ne voulais plus entendre parler de collages. J’avais plus envie de me consacrer à l’écriture. Et puis, un jour, je me suis mis à griffonner sur la couverture d’un Paris Match et le dessin était amusant. Le lendemain, j’en ai fait un autre. Je me suis mis à dessiner comme ça sans y penser, sur la table de la cuisine. Je dois avoir fait quelque trois cents dessins sur les deux ans. Plus ça avançait, plus ça me passionnait. Donc, j’ai décidé de ne montrer que des dessins puisque je n’ai fait que ça.

    Comment te sens-tu à l’aube de ce vernissage ? 

    C’est presque bizarre à dire mais j’ai l’impression que je n’ai jamais exposé. Le fait de ne montrer que des dessins, c’est comme si c’était ma première exposition dans l’absolu alors que ça fait presque cinquante ans que je fais ça. La première date de 69. J’étais un peu nerveux intérieurement mais, enfin, ça va.

    Et les collages, est-ce fini ?

    Si tu regardes bien, dans certains dessins, il y a des éléments collés. Il y a des dessins hybrides. Il y a toute une série de dessins où il y a des collages mais qui sont très bien dissimulés. Donc, non, ce n’est pas fini. Ça reviendra. Et la peinture n’a pas encore commencé ! Le collage est en stand by, c’est tout.

    Les amateurs te connaissent essentiellement comme un collagiste. Aurais-tu un conseil à leur donner avant qu’ils ne découvrent tes dessins ? 

    Non, je n’ai pas de conseils à donner. On les prie de regarder, c’est tout, et de faire leurs commentaires parce que ça m’aidera. Moi, comme ce n’est que de l’incertitude, je ne sais pas comment ça va être reçu. J’ai déjà eu quelques commentaires : des gens qui n’aiment pas du tout, qui trouvent ça glauque et d’autres qui trouvent ça magnifique. Ils me posent des questions sur les techniques, ils me posent des questions sur « ce que je prends » pour faire mes dessins [rires], sur ce que je bois, sur ce que je mange, sur ce que je fume. Ça les intéresse plus que l’œuvre elle-même [rires].

    Il est vrai aussi que deux personnes n’y verront pas la même chose. 

    Absolument. Ils ont des niveaux de lecture totalement différents. Moi-même, je ne les avais jamais vus aux cimaises ce qui m’a amené à les regarder complètement autrement. J’ai fait le test en les regardant de près. Évidemment, là, on voit les détails mais, quand on s’éloigne, on voit si les dessins tiennent ou ne tiennent pas. Je dois dire qu’ils tiennent.

    Je trouve une parenté entre certains de tes collages et tes dessins. S’agit véritablement de démarches distinctes ?

    C’est la même chose. Je crois qu’à un moment donné, on doit se rendre compte qu’on fait toujours un peu la même chose. Même si c’est différent, c’est la même chose. Moi, je ne fais pas une différence fondamentale entre les collages sur les chamanes par exemple et les dessins. Ce sont des visions. C’est faire surgir ce qui était là et qui ne demandait qu’à exister. Pour moi, c’est comme quand on regarde un vieux mur : on voit des personnages dedans. Les dessins, c’est l’interprétation du monde. Moi, je ne fais pas de différence fondamentale entre les collages et les dessins, c’est juste la technique qui change.

    Certaines de tes nouvelles images me font penser aux peintures de Jérôme Bosch notamment par la quantité incroyable de ces créatures que tu fais apparaître. Qu’en penses-tu ? Y a-t-il d’autres artistes dont tu pourrais te sentir proche ? 

    Bosch, c’est mon peintre préféré. J’ai un jour répondu au questionnaire Marcel Proust. À la question « Qui auriez-vous aimé être », j’ai répondu Jérôme Bosch. Il se fait que l’année dernière, alors que j’étais parti à fond la caisse dans les dessins, je suis allé voir la grosse exposition Jérôme Bosch à Hertogenbosch [Pays-Bas]. Je connaissais tous ses tableaux mais je les ai regardés beaucoup plus d’un point de vue technique. Je me suis dit : « C’est tout à fait possible après tout, pourquoi est-ce qu’on se gênerait ? » C’est sûr qu’il y a une influence certaine de Jérôme Bosch dans ce que je fais. Ce n’est pas la même chose mais on peut sentir une volonté d’approcher cet univers comme celui de l’enfer du Jardin des délices par exemple.

    Il y a d’autres influences. Il y a des moments où j’ai l’impression, dans certaines parties, de faire des choses qui sont un peu comme des peintures de Dalí où il y a des fantômes. Je pense à des peintures comme Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire ou certains éléments tels que le fait de voir un personnage avec d’autres ou des personnages qui s’interpénètrent ou d’avoir une vision double. Mais tu peux aussi penser aux transparences de Picabia, c’en est proche d’une certaine manière. Il y a une série d’influences évidemment. J’ai vu beaucoup de peintures mais je n’essaie pas de copier. J’essaie de faire un truc qui soit à moi.

    Parle-moi de cette méthode « quatre-quatre ». Ça a l’air de quelque chose de complètement fou ! 4,16, 64, ça peut continuer à l’infini.  Quand et comment cette idée t’est-elle venue ? De quelle manière procèdes-tu ? 

    Écoute, au début que je dessinais, je prenais un morceau de magazine et je m’appliquais dessus. Au départ, c’était simplement prendre un morceau de magazine et en faire autre chose. Puis, un jour que j’avais choisi une image et quand je l’ai eu bien cadrée, je ne savais pas dans quel sens la traiter parce que les quatre sens m’inspiraient. Je me suis dit : « Qu’à cela ne tienne ». Je suis allé faire quatre photocopies et j’ai traité l’image dans les quatre sens. Puis, quand j’ai eu fini de l’exploiter dans les quatre sens, je me suis dit que ce n’était pas fini. Alors je suis allé refaire d’autres photocopies et j’ai reproduit l’opération à quatre reprises si bien qu’une série de seize dessins en résulta. C’est venu par hasard.

    Comme je fais partie de l’Oupeinpo, je me suis dit : « Je viens d’inventer une contrainte nouvelle ». C’est une manière d’épuiser quelque part les possibilités de l’image avec quatre fois quatre. C’est un carré encore. C’est sûr que ça pourrait continuer à l’infini mais, à un moment donné, j’ai envie de changer d’image. Seize, c’est déjà plutôt une performance de faire seize dessins sur la même base. Donc, je change d’image. Je n’ai ni le courage ni l’envie d’en faire soixante-quatre…

    Qu’en est-il de l’image de départ ? Comment la choisis-tu ? D’où vient-elle ?

    Au départ, c’était des images de magazines. Je regardais un petit peu comme quand je faisais mes collages. La série des chamanes par exemple, je regardais l’arrière-plan de l’image donc les flous. Et c’est dans les flous que je voyais des choses ou en regardant des magazines à l’envers. Ce sont des morceaux de photos qui ont perdu leur sens et qui sont en général assez abstraits. C’est devenu juste une surface pour jouer. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait c’était les murs. Maintenant, à la place de choisir l’image dans les magazines, je fais des photos de murs que j’imprime. Je travaille donc désormais à base de mes propres photos.

    Tu t’improvises donc aussi photographe…

    Tout le monde l’est. Le tout est de savoir qui fait la photographie : le photographe ou l’appareil.

    Tu as parlé de l’Oupeinpo. Ta méthode a été présentée pour la première fois en 2016 par le Crayon qui tue dans la « Petite Bibliothèque oupeinpienne » parmi d’autres « Contraintes et œuvres nouvelles ». Peux-tu présenter en quelques mots ce collectif et son propos ? 

    À un moment donné, sous le couvert du Collège de ’Pataphysique, a d’abord été créé un OUvroir de LIttérature POtentielle [OULIPO] avec François Le Lionnais, Raymond Queneau, Georges Perec, Italo Calvino, etc. C’était une littérature à contraintes. Le principe d’ouvroir et de potentiel s’est diversifié. Donc, tu as l’OUPOLPOT, l’OUvroir de POLitique POTentielle, l’OULIPOPO, l’OUvroir de LIttérature POlicière Potientielle et bien d’autres. Tu as toute une série d’ouvroirs. François Le Lionnais (un mathématicien à l’initiative de l’OULIPO) avait dit à Thieri Foulc qu’avec les peintres, ça n’irait jamais parce qu’on ne parviendrait pas à trouver plusieurs peintres qui pourraient s’entendre. Effectivement, ils ont fait une première tentative d’OUPEINPO qui n’a absolument pas marché. Carelman a insisté et, à un moment donné, l’OUPEINPO est devenu intéressant avec Olivier O.Olivier, Jacques Carelman, Thieri Foulc, Jack Vanarsky, etc. qui s’entendaient fort bien. Puis, il y a eu des occultations (des décès) et, maintenant, il y a une nouvelle équipe. On est huit pour le moment dont certains vivent à Berlin, d’autres à Paris, à Londres ou ailleurs, moi dans les forêts [rires]. On ne se voit pas beaucoup mais on a au moins fait deux choses récemment notamment un ouvrage qui s’appelle TRANSgression où un dessin de l’un a été transmis à un autre qui a dû le modifier avec une contrainte puis qui l’a, à son tour, passé à un troisième qui l’a modifié avec une autre contrainte jusqu’au moment où le dessin est passé par les mains de tous les membres de l’OUPEINPO pour revenir à celui qui avait fait le premier dessin qui a dû le modifier en dernier. On s’entend plutôt bien. On n’a pas de problème d’ego donc tout baigne. Là, il y a un projet de faire une expo en avril prochain à l’Université de Berlin, faculté de Mathématiques. Nous partirons donc chacun d’une contrainte essentiellement mathématique pour faire des images.

    As-tu déjà une idée de ce que tu souhaites y présenter ? 

    J’en ai plusieurs. Le tout est de voir comment ça se traduira plastiquement. Trouver une contrainte, c’est une chose mais en faire des réalisations, c’est autre chose. Les mathématiques m’intéressent ; autant j’en avais horreur en humanités, autant maintenant que je peux voir ça de manière libre, ça m’intéresse.

    As-tu d’autres projets autour de cette découverte ?

    Je ne vais pas passer ma vie à faire la méthode quatre-quatre. Je crois que j’ai fait la démonstration. D’ailleurs maintenant, ça m’intéresse beaucoup plus de faire des dessins uniques dans un seul sens. Je suis plutôt parti vers ça les derniers temps : faire des dessins uniques beaucoup plus grands. Je suis à l’A3 mais rien ne m’empêche d’aller beaucoup plus grand, de faire des dessins d’1 mètre sur 80 centimètres. Pas plus tard que cette nuit, j’étais encore en train de dessiner. C’est devenu une manière d’activité quotidienne et absolument indispensable. Donc, là, je dois avoir une cinquantaine de murs photographiés que je voudrais bien traiter.

    Le dessin a donc pris une place très importante dans ta vie. 

    Une « énorme » place.

    Pour plus d’informations sur l’exposition (André Stas. La Méthode quatre-quatre et autres dessins, Anvers, De Zwarte Panter, 2 juin – 2 septembre 2017), consultez le site de la galerie : http://dezwartepanter.com/.

    Gwendoline Morán Debraine
    Gwendoline Morán Debraine
    Journaliste du Suricate Magazine

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