Dunkerque
de Christopher Nolan
Guerre
Avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance
Sorti le 19 juillet 2017
À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, prises dans la tourmente du Blitzkrieg, les armées françaises et britanniques n’eurent d’autre choix que de renoncer à leurs positions et reculer devant les armées germaniques jusqu’à arriver à Dunkerque. Encerclées dans la ville portuaire, les forces armées alliées menèrent une résistance farouche et désespérée. Profitant d’un relâchement de la part de l’ennemi, le gouvernement de Sa Majesté décida le rapatriement des troupes vers l’Angleterre, conscient de la nécessité de défendre Albion en cas de percée nazie. C’est ainsi qu’entre le 20 mai et le 4 juin 1940 eut lieu la bataille de Dunkerque – ou Opération Dynamo.
Si cette retraite semble avoir des accents de défaite, elle fut pourtant capitale dans le processus qui mena à la victoire des Alliés cinq ans après. En effet, ce qui sera plus tard appelé le « Miracle de Dunkerque » renforça les positions anglaises : si, avant l’opération Dynamo, Winston Churchill considérait la possibilité de négocier avec Hitler, il abandonna cette idée après le 4 juin 1940 et prononça son célèbre discours dans lequel il affirma des mots restés célèbres : « We shall never surrender », ajoutant que les forces britanniques se battraient sur terre, sur mer et défendraient leur île quel qu’en soit le prix.
Dans cette dynamique, Hitler et Göring comprirent la nécessité d’empêcher les Alliés de rembarquer vers l’Angleterre où ils pourraient organiser la contre-attaque. C’est ainsi que Dunkerque fut lourdement bombardée. La situation étant désespérée, l’armée britannique espérait sauver un minimum de 45 000 soldats au début de la bataille. Elle parviendra à en sauver huit fois plus, soit 380 000 ! Ce « Miracle de Dunkerque » permit de sauvegarder la capacité britannique à œuvrer au sein de la Grande Alliance et à jouer pleinement son rôle dans les opérations militaires qui mèneront à la Victoire.
Au cours de l’évacuation de Dunkerque, quelques 700 bateaux privés, surnommés Little Ships, participèrent à l’évacuation des soldats britanniques, permettant ainsi à plus de 26 000 soldats de regagner les côtes d’Angleterre.
Diversifiant par la même occasion sa filmographie, c’est cette histoire que Christopher Nolan a choisi de raconter, marchant ainsi dans les pas de certains de ses illustres prédécesseurs comme Steven Spielberg ou Stanley Kubrick, en livrant un film de guerre après l’œuvre spatiale que fut Interstellar.
Comme s’il était encore utile de le rappeler, il faut d’avance souligner le superbe travail de réalisation que nous offre ici Christopher Nolan. Dès le départ, Dunkirk prend aux tripes, accroche le spectateur et tisse une atmosphère bien particulière. Plus encore le réalisateur parvient à faire du silence un acteur de cette nouvelle œuvre, les personnages recourant peu à la parole durant la première phase du film. À ce titre, saluons le travail des acteurs Fionn Whitehead et Aneurin Barnard qui parviennent à porter les séquences dans lesquelles ils apparaissent presque sans parler, par de simples jeux de regards, etc. Si cela se voyait dans certains des précédents films du réalisateur, on constate ici clairement que Nolan a une extraordinaire capacité à choisir et diriger ses comédiens. Ces silences et cette installation d’atmosphères font de Dunkirk une sorte de danse, un ballet rythmé par le sifflement des balles et les obus. N’allant pas jusqu’à magnifier la guerre, Nolan lui donne une esthétique bien propre.
Le point de vue adopté par le récit est lui aussi intéressant et, à défaut de mettre en avant des héros qui sacrifient leur vie pour une cause supérieure comme cela est souvent le cas dans les films de guerre, Christopher Nolan diversifie le champ des émotions, livrant ainsi au spectateur toutes sortes de personnages aux antipodes les uns des autres : la lâcheté cohabite avec le traumatisme de guerre et le courage. Il y a là une magnifique façon de présenter les protagonistes qui sont tous nourris de raisons particulières pour agir comme ils le font mais peuvent aussi échanger leurs perceptions, l’un ayant soudainement un sursaut de courage et l’autre une angoisse face à son sort. En évitant de livrer des protagonistes monolithiques, Nolan parvient à toucher du doigt la complexité de l’être humain.
En ce qui concerne les acteurs, si nous avons déjà salué le formidable travail de Fionn Whitehead et Aneurin Barnard, il convient aussi de mettre en évidence celui de Cillian Murphy, Kenneth Branagh, Jack Lowden ou Tom Hardy. Tous ont parfaitement cerné la nécessité de tenir leur rôle sans chercher à voler la vedette. On appréciera notamment un petit clin d’œil – involontaire ? – à L’homme qui aimait la guerre dans lequel Steve McQueen jouait un pilote d’avion dont le regard bleu perçant saisissait le spectateur. Si l’on se souvient de ce film, on se dit que Lowden et Hardy n’ont pas été choisis par hasard. Ce dernier notamment a déjà montré à plusieurs reprises sa capacité à exister par sa simple présence et, ici encore, il saura le faire par un simple regard derrière son masque à oxygène. Il brillera purement et simplement dans les dix dernières minutes du film, porté par la réalisation magistrale de Christopher Nolan et la musique envoûtante de Hans Zimmer. Une séquence finale tout simplement magnifique, pleine d’héroïsme, de détermination et de ce petit côté frondeur dont Tom Hardy sait si bien jouer.
Dunkerque possède également une teinte très personnelle en regard des autres films de Christopher Nolan, dans la mesure où les protagonistes principaux sont des Anglais qui se battent pour l’Angleterre. On sentira ça et là la fierté du réalisateur qui injectera une forme de fierté britannique à son film sans dériver dans la propagande grotesque. L’arrivée des Little Ships à Dunkerque apparaîtra alors comme une personnification de la maxime « United we stand, divided we fall » réutilisée par Churchill dans un discours le 16 juin 1941. Par sa façon de présenter l’arrivée des bateaux privés, Nolan montre que durant cette guerre, le peuple anglais ne faisait qu’un et fut capable de laisser ses différences de côté pour le bien commun. Les bateaux de pêche se mêlent aux bateaux de plaisance pour venir en aide aux soldats, quelle que soit leur origine ou leur grade. Chaque homme fait son devoir dans ce Grand Soir temporaire ! De ce point de vue, si Dunkerque n’hésite pas à montrer les horreurs et coups bas de la guerre, il regorge également de messages profondément positifs et inspirés.
En ce qui concerne les atmosphères dont nous parlions précédemment, Dunkerque réalise le tour de force de créer un film de guerre angoissant et immersif. Bien loin de permettre une représentation de ce que fut réellement la guerre, mais tout de même assez percutant pour créer une angoisse chez le spectateur. La technologie IMAX renforce bien évidemment ce procédé et le film doit impérativement être vu dans ce format pour une meilleure immersion. Il est bien probable que, à son échelle, Dunkerque amène une petite révolution dans le cinéma de guerre en permettant au spectateur de mesurer – même très légèrement – le stress et l’enfer qu’ont dû vivre les soldats lors de ces journées.
En résumé, Dunkerque est un excellent Nolan, parfaitement dosé, qui dispose d’un riche casting, d’une réalisation maîtrisée de part en part et d’un rare pouvoir immersif ! Comme toujours, un film dont on ne ressort pas indemne et qui aura le don de donner naissance à toutes sortes d’émotions et de questionnements.