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    Rencontre avec Marie-Monique Robin pour « Qu’est-ce qu’on attend ? »

    À l’occasion de la sortie du film Qu’est-ce qu’on attend ?, Le Suricate a profité de la venue de sa réalisatrice, Marie-Monique Robin, à Liège pour échanger quelques vues et éclairer la lanterne de ses lecteurs. Une rencontre très riche que nous vous livrons ici dans son intégralité.

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    Qu’est-ce qui a motivé un tel projet ? 

    C’est le hasard. Avec « Sacrée Croissance ! » [NDLR : son précédent film], j’étais allée au Canada, en Argentine, au Népal, au Danemark, en Allemagne, au Brésil, au Bhoutan où l’on trouve de belles initiatives de transition (alimentaire, énergétique, des monnaies locales très abouties). Et en présentant le film dans un cinéma en Alsace, j’ai rencontré le maire d’Ungersheim qui m’a dit : « Ce que vous montrez dans le film, on le fait déjà ». Je suis allée voir et voilà.

    Pourquoi s’intéresser à Ungersheim et pas, par exemple, à la ville de Totnes en Angleterre dont on parle à un moment du film ?

    Je suis allée à Totnes pour « Sacrée Croissance ! » et ce n’est pas du tout une ville en transition. Rob Hopkins est un penseur de la transition. Et il l’a dit lui-même d’ailleurs, Totnes n’est pas du tout engagée dans la transition. Il y a des initiatives éparses un peu comme partout. Donc je suis allée à Totnes pour « Sacrée Croissance ! » et je ne l’ai même pas mis dans le film tellement ça me paraissait peu intéressant. Par contre, Rob Hopkins est quelqu’un d’extraordinaire qui a vraiment réfléchi à la transition et qui inspire beaucoup de monde.

    Pensez-vous obtenir des résultats vis-à-vis de ce film ?

    La ville d’Ungersehim a embauché quelqu’un à temps plein pour répondre à toutes les demandes d’élus qui viennent voir comment ils ont fait. C’est déjà un beau résultat ! J’espère que ça va inspirer d’autres personnes.

    Quelque chose est assez frappant dans le film : ceux qui ont aidé à la transition d’Ungesheim étaient eux-mêmes frappés par diverses choses : les manquements à l’éthique pour Jean-Sébastien Cuisnier, un ancien vétérinaire ; le fait que « l’humanité va dans le mur » selon Jean-Claude Mensch, le maire ; la fatigue face à l’individualisme de la société pour Bertrand Helmli-Fontez, l’un des habitants de la ville ; l’opposition au système pour le boulanger Christophe Moyses, etc. De là, quelle était votre démarche, est-ce que vous êtes dans une même démarche de dénonciation de ce système qui ne convient plus, ou bien au contraire, cherchez-vous davantage à faire une présentation objective ?

    Je leur ai donné la parole. Ils ont des motivations, on ne conduit pas un problème de transition si on n’est pas motivé. Ils ont une vision de l’avenir qui est très inquiétante et je suis d’accord avec eux : le dérèglement climatique c’est sérieux, l’extinction de la biodiversité aussi, on parle de « sixième extinction des espèces ». C’est assez étonnant de voir à quel point ça ne mobilise personne : quand on vous annonce qu’on a conduit récemment une étude qui dit que si on continue avec notre modèle de développement, il n’y aura plus un seul singe avant 2050 parce qu’ils sont tous en train de disparaître totalement, ou qu’au cours des quarante dernières années, 50 % des vertébrés ont disparu, que la banquise est en train de fondre, qu’il y a de plus en plus de sécheresse et d’inondations, c’est sérieux. Donc voilà, qu’est-ce qu’on fait ?

    Donc il y a vraiment une forme de dénonciation ou au moins une volonté de manifester quelque chose ?

    Bien sûr mais c’est l’idée de début du film, la transition c’est pour faire face à tous ces défis qui nous attendent, qui sont l’épuisement des ressources, le dérèglement climatique, … Mais, c’est un documentaire : ce sont les gens qui racontent l’histoire, ils racontent ce qu’ils ont fait et qui est unique au monde.

    Pensez-vous que ce qu’on a pu observer à Ungersheim soit applicable partout ?

    Bien sûr, dans « Sacrée croissance ! », on voyait comment Toronto, ville de six millions d’habitants vise l’autonomie alimentaire avec un programme d’agriculture urbaine, des jardins partagés, des fermes urbaines, de la culture sur les toits, des murs végétalisés. Bien sûr que c’est possible partout, et c’est même souhaitable. Aujourd’hui un aliment acheté dans un supermarché en Europe voyage en moyenne 2700 km donc ce n’est pas possible : quand on ne mange pas bio et local, on contribue au réchauffement climatique. Aujourd’hui l’autonomie alimentaire des villes – une ville comme Liège par exemple – c’est trois jours maximum. Paris c’est pareil. Sans pétrole on ne se nourrit plus dans notre monde : il faut sept calories d’énergie fossile pour faire une calorie alimentaire. Et en même temps, si chaque habitant de la planète voulait vivre comme un Belge ou un Français, il faudrait trois planètes. Donc voilà, ce sont des données. Et qu’est-ce qu’on fait pour remédier à ça ? Donc la transition alimentaire est possible partout à condition d’avoir une volonté politique, d’arrêter de bétonner, de refaire les ceintures vertes comme on avait autrefois dans les villes.

    Votre point de vue n’est donc absolument pas défaitiste et que l’être humain serait capable de faire ça ? On peut avoir cette volonté des gens de s’investir ?

    Bien évidemment. C’est pour ça qu’il est important de montrer – au travers de ce film – que le rôle des agriculteurs est très important, parce qu’ils permettent de faciliter, d’encourager. C’est ça qui est très intéressant dans ce film : quand on voit des élus locaux qui encouragent et mettent à disposition huit hectares de terre pour une association qui fait du maraîchage bio, des paniers, etc. on gagne beaucoup de temps. Ils mettent un territoire à disposition de neuf familles pour faire un éco-hameau, des maisons passives, c’est très important. Il y a beaucoup de gens qui se battent pour avoir des terrains et donc c’est vrai que c’est aussi un appel aux élus locaux de jouer leur rôle.

    Une autre chose frappante chez les habitants d’Ungesheim est qu’il n’y a aucun rejet par rapport au consumérisme, ou en tous cas aucun jugement. Jean-Sébastien Cuisnier, l’ex-vétérinaire, parle un moment de « libération » puis se corrige en disant qu’il s’agit plutôt d’un « affranchissement ». Il y a une façon de dire qu’ils s’affranchissent de tout ça mais que c’est un cheminement personnel, il n’y a aucun prosélytisme chez les habitants d’Ungesheim. 

    Exactement : ni idéologique, ni moralisateur. D’ailleurs le film est sorti en novembre en France et j’ai vu des gens pleurer d’émotion parce que ce sont des gens comme vous ou comme moi. N’importe qui peut se reconnaître dans ces acteurs de la transition, ils ne sont pas moralisateurs, ils ne sont pas idéologiques et ils sont contents de faire ce qu’ils font. Ils sont fiers et ils revendiquent leur fierté de dire : « On travaille pour le bien commun », sans dire : « Vous êtes des imbéciles si vous ne le faites pas ». Et le plus bel exemple c’est le maire qui, pour sa liste électorale, va chercher un agriculteur qui fait du maïs conventionnel avec du pesticide et qui est son adjoint. Parce qu’il sait que cet homme a des qualités, des valeurs, et qu’il faut travailler sur les valeurs communes et que, petit à petit, les gens cheminent ensemble. Et ça c’est un bel exemple. On n’est pas dans l’affrontement on est dans l’exemple. Finalement, la citation que donne Jean-Claude Mensch (le maire) de Gandhi : « L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul », c’est vrai. C’est pour ça que je trouvais intéressant de présenter cette histoire : on n’est pas dans des discours… C’est des gens qui disent : « On est contents de faire ça. Faites ce que vous voulez mais nous on est contents et on espère qu’on sera de plus en plus nombreux parce que c’est sympa : on est contents de mettre des tomates en boîte, on est contents d’écorcer les arbres ensemble, de ramasser les bottes de paille dans un champ pour fabriquer des maisons. Ça procure du bonheur, ça fait du bien ».

    C’est un bel exemple de patience aussi ces gens qui ont su se dire « On va le faire et on verra si ça marche ».

    Tout à fait, la transition est une question de patience. C’est une feuille de route, on y va doucement. La transition négociée et anticipée !

    Derrière le film, on trouve une réflexion inhérente sur la politique. Le maire d’Ungersheim, Jean-Claude Mensch, dit être probablement l’un des seuls maires de France qui soit végétarien et qui ne boive pas d’alcool. Alors, avec le contexte politique qu’on vient de connaître en France, avec les scandales politiques belges comme le Kazakhgate ou Publifin, y a-t-il – même très légèrement – la volonté de montrer un exemple politique ?

    En tous cas ça redonne de la valeur à la politique. La politique devrait travailler dans le sens de l’intérêt général et si on a des crises politiques chez vous comme en France, avec des extrêmes très puissantes c’est parce que les citoyens ont perdu la confiance dans les politiques.

    Et ici on voit que la confiance est toujours là : les gens croient en leur maire.

    Oui bien sûr, ils l’ont réélu cinq fois. Et ce qui est intéressant aussi c’est que les gens ont envie de s’investir : c’est de la politique aussi au fond de s’investir dans une régie agricole municipale, ou de donner un coup de main pour ramasser les patates. Travailler pour l’intérêt général, c’est ça la politique finalement.

    Autre très belle chose : plusieurs protagonistes sont en contrat d’insertion. De ce point de vue, c’est un film qui se veut axé sur un autre mode de vie mais qui, finalement, est axé sur l’humain. Il montre des êtres humains qui parviennent à fonctionner en cohabitation.

    Oui, ils ont fait le choix de l’économie solidaire. Ils ont confié la gestion, l’administration de ce projet à des entreprises qui font de l’économie sociale et solidaire, comme un jardin de cocagne, une association qui fait de la réinsertion par le maraîchage bio. C’est un choix de la municipalité. La cantine c’est pareil. Et ce qui était intéressant de ce projet, c’est de se dire qu’on voit comment les territoires vont se transformer mais aussi les gens. C’est ça la dynamique vertueuse dont je parlais. Effectivement, Céline dont vous parlez est une jeune femme du « jardin de cocagne » qui dit : « Ça m’a transformé, maintenant j’ai envie d’avoir mon propre jardin », c’est magnifique. Et oui, c’est ça qui est très beau dans le film, c’est comment les gens sont transformés.

    Ils trouvent un sens à leur vie, on le voit dans les yeux de Céline justement.

    Oui, elle a un sourire, j’adore !

    Et ce qui est beau, c’est qu’on voit des gens qui sont en contact avec la terre, qui sont simples.

    Il y en a de plus en plus. Jean-Sébastien, l’ex-jeune vétérinaire qui décide de plaquer son métier parce qu’il en a marre de faire des piqûres aux vaches, des vaccins, de la médecine business, … Mais il y en a beaucoup des personnes comme ça.

    Et ils le font par conviction, pas pour se faire bien voir et exprimer une différence. Il y a vraiment quelque chose de très humain qui transparaît là-dedans et on voit des gens qui ont retrouvé un sens à leur vie. Et c’est assez intéressant car ça amène vers un troisième axe : l’axe du communautarisme dont on nous parle à longueur de temps. Mais ici c’est un communautarisme qui est tout à fait sain : « On vit en communauté, venez ! »

    Vous avez tout à fait raison et je suis tout à fait d’accord avec votre lecture. Je me bats beaucoup pour réhabiliter en français le mot « Communauté ». En espagnol, « Comunidad », c’est magnifique, en anglais, « Community » c’est pareil. En français – en Belgique comme en France – c’est teinté de communautarisme, on suspecte de repli sur soi, etc. alors qu’une communauté humaine normalement, c’est une communauté qui partage un territoire, un lieu de vie et qui essaie de voir ensemble comment le préserver pour que les enfants puissent continuer à vivre sur ce territoire, voir comment l’améliorer au point de vue du bien être, du vivre ensemble. Et vous avez tout à fait raison, ils sont contents de dire qu’ils sont d’Ungersheim. La vieille dame de 80 ans qui dit : « Je suis fière d’être Ungersheimoise » dans le film, l’éolienne qu’ils mettent en place, c’est une fierté qui n’est pas déplacée, c’est une fierté : « On fait ça ensemble et c’est bon pour nous, ça nous fait plaisir, c’est bon pour nos enfants et c’est bon pour la planète ». Évidemment, ça c’est à condition de rester connectés aux autres – ce que dit très bien le maire –  et donc en effet, c’est le communautarisme dans le sens noble du terme, débarrassé de scories qui sont liées à des histoires qui ont pollué ce terme malheureusement.

    À quel point les habitants d’Ungersheim ont-ils conscience d’être – comme ils le disent – une goutte d’eau dans l’océan ?

    Ils sont de plus en plus conscients – évidemment le film a aidé aussi – d’être un peu plus que ça. Le 19 novembre on a fait une avant première, il y avait 600 personnes et on entendait en sortant après le film des gens qui disaient : « Ce qu’on fait à Ungersheim, c’est super ». Ça, ce sont des indifférents, des gens qui travaillent à 15 km de chez eux, qui rentrent le soir et sont crevés. C’est la vie. Et un moment, qu’est-ce qui fait qu’on va faire quelque chose avec les autres ? Eh bien il faut un projet qui donne envie, qui soit désirable.

    Leur attitude fait un peu penser à cette phrase de Brel qui disait (dans la chanson Jojo) « Nous savons tous les deux que le monde sommeille par manque d’imprudence », et les habitants d’Ungersheim mettent un peu cette folie dans le monde, cette imprudence.

    Il y a une phrase de Sénèque aussi que je trouve formidable et qui dit : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». C’est pareil. Il faut oser ! Et puis après, il y a quelque chose qui se met en place, qui se déclenche et qui fait que ça y est, c’est parti.

    Dans cette optique, le film peut créer une dynamique. Les gens ont besoin d’un modèle et le cinéma en est devenu un aujourd’hui, on a besoin de voir des choses qui nous inspirent.

    C’est ce que j’appelle les lanceurs d’avenir. Il y avait les lanceurs d’alerte dans tous mes films précédents. Les lanceurs d’avenir sont ceux qui montrent qu’on peut faire autrement. Et on a besoin de cela. On arrête pas d’entendre qu’il n’y a pas d’alternative à la crise telle qu’on la connaît, à l’austérité. Mais si, il y en a !

    Dans le film, il est un moment dit qu’Ungesheim ne voit pas l’autosuffisance comme une fin en soi et refuse l’isolement. Font-ils des choses concrètes pour éviter cet isolement ?

    Oui, il y a la journée de la transition, il y a plein de conférences, ils font un marché du commerce équitable, ils ont engagé quelqu’un pour faire face à toutes les demandes. Bien sûr ils font quelque chose.

    À la fin du film, vous rappelez le titre, « Qu’est-ce qu’on attend ? ». Est-ce volontaire, est-ce une volonté de faire prendre conscience aux gens ?

    Bien sûr.

    Une exploitation dans les écoles est-elle envisagée ? 

    Ça se fait déjà. De nombreux enseignants demandent et on est actuellement à la phase d’exploitation cinéma et après il y aura une exploitation non-commerciale, pour les écoles, etc. Ça plait aux élèves parce que c’est très concret.

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