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    Huis clos de Jean-Paul Sartre aux Martyrs

    Mise en scène de Marcel Delval avec Bernard Gahide, Stéphane Ledune, Sylvie Perederejew et Dolorès Delahaut
    Au Théâtre des Martyrs, du 26 avril au 17 mai 2017

    Rien qu’une souffrance de tête, un fantôme de souffrance, qui frôle, qui caresse et qui ne fait jamais assez mal.
    Jean-Paul Sartre

    Accueillis en enfer par un garçon d’étage (Bernard Gahide), trois personnages qui ne se connaissent pas se trouvent à leur mort enfermés dans une même pièce. Ils viennent de milieux très différents et ne partagent ni les mêmes convictions ni les mêmes goûts. Joseph Garcin (Stéphane Ledune), journaliste fusillé pour ses principes, se présente comme un héros pacifiste. Inès Serrano (Sylvie Perederejew), employée de postes homosexuelle, est consciente de sa damnation aussi bien terrestre qu’infernale. Estelle Rigault (Dolorès Delahaut), riche mondaine superficielle, délicate et dépendante, se dresse un tableau de « sainte » qui a sacrifié sa jeunesse à un vieillard pour prendre soin de son frère malade. Dans cette pièce débute alors un procès à huis clos où chacun des trois personnages juge et est jugé sur les actes qui composent son existence.

    Les trois condamnés gagnent une épaisseur psychologique et une identité au fur et à mesure de la progression de l’acte. Étrangers au début, pour nous spectateurs et chacun pour l’autre, ils nous quittent à la fin « nus comme des vers ». Chacun d’eux se démasque explicitant la raison de sa damnation : Garcin faisait souffrir son épouse ; Inès a eu une relation avec la femme de son cousin détruisant son mariage ; Estelle a tué son bébé sous les yeux du père (son amant) qui s’est suicidé à cause d’elle. Devenant les bourreaux les uns des autres, les causes de leur tourment éternel sont énoncés : Garcin a déserté, sa lâcheté est son supplice ; Inès est sadique, son impuissance est sa torture ; Estelle est égoïste, son besoin d’attention constitue sa peine.

    La représentation théâtrale de Delval, fidèle à la pièce originale, permet de découvrir le texte de Sartre qui ne contient pas de descriptions et dont les actions sont sous-entendues par les répliques. Delahaut, Gahide, Ledune et Perederejew ont réussi à donner vie à la complexité du texte et à le concrétiser dans l’espace, à travers des gestes et des mouvements très subtils. Le jeu transmet également le côté humoristique de Huis clos qui tranche avec les mythes et les superstitions intergénérationnels, en introduisant un concept plus humain de l’image de l’enfer, une image qui convient aux postulats de l’existentialisme sartrien. A certains moments, notamment dans les monologues des trois personnages, le jeu devient malheureusement excessif, surchargé, manquant ainsi du naturel.

    Reste à saluer l’interprétation de Bernard Gahide, qui joue le rôle du garçon de l’étage, introducteur et annonciateur des évènements. A la fois calme, froid et machiavélique, il renforce la dimension diabolique du personnage. Son rire, à la limite sadique, et son visage impénétrable aux paupières qui ne battent pas, rendent ses interventions dans la pièce, quoi que minimes, inoubliables.

    La mise en scène de Delval constitue l’attrait principal de la pièce et son originalité : la salle carrée est entourée par les spectateurs, ce qui place le public au rang de témoin des confessions et de juge des condamnations. La lumière éclaire pendant tout le jeu les personnages et leurs actions, et ne s’éteint qu’à la fin, au moment de l’acceptation de leur sort. Une fois la lumière éteinte, le procès est terminé, le jugement est émis.

    Le metteur en scène modernise Huis Clos de Sartre : les bancs qui remplacent les canapés dans l’œuvre originale rompent avec le décor du Second empire. Habillés de costumes de mêmes couleurs que les bancs, les acteurs semblent fondre dans le décor infernal auquel ils appartiennent. Ces couleurs sont d’ailleurs conformes à leurs personnalités : un vert épinard pour le lâche, un bordeaux pour la machiavélique et un bleu pour la fausse mondaine. La modernisation de la mise en scène atteint aussi quelques bribes du texte. La chanson interprétée par Inès en est un exemple : dans la version de Delval, This Is the End de Doors remplace Dans la Rue des Blancs-Manteaux de Juliette Gréco de la version sartrienne.

    L’idée de l’attachement prédomine dans la pièce. Estelle ne se considère pas morte, elle est simplement absente. C’est la terre qui l’a quittée et non pas l’inverse. L’attachement des personnages au monde réel, malgré leur départ, se traduit par des images de la réalité extérieure qu’ils visualisent à des moments précis. L’acceptation de la mort a lieu une fois que ce lien entre les deux mondes terrestre et infernal est rompu : tout s’obscurcit et les protagonistes ne sont plus capables de suivre les actions extérieures. Il y a passage de l’absence à la mort, passage qui s’affirme de plus à la fin quand Estelle essaie de tuer Inès. Ce détachement, cette coupure, se traduit par le jeu des acteurs. Leur dernier fou rire indique leur désespoir face à leur incarcération éternelle.

    Jean-Paul Sartre décrit l’enfer dans cette pièce tel qu’il le perçoit, sans bourreau et sans instruments de torture physique, ce qui semble choquer les personnages qui cherchent le bourreau. Inès est la première à comprendre le mécanisme de cet enfer en disant : « Le bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres ». Ce constat est confirmé vers la fin par le cri de Garcin : « L’enfer, c’est les autres », fameuse phrase de Sartre et signature de son existentialisme. On n’existe qu’à travers l’autre, qui se porte juge de nos actions et nous condamne selon l’image que nous lui envoyons. La torture en enfer se révèle être la torture psychologique des autres représentés par les spectateurs et  les comédiens eux-mêmes.

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