Manchester by the Sea
de Kenneth Lonergan
Drame
Avec Casey Affleck, Michelle Williams, Kyle Chandler
Sorti le 25 janvier 2017
Dans une scène de Manchester by the Sea, l’excellent film de Kenneth Lonergan, un des personnages principaux s’insurge contre le comportement austère du directeur du funérarium qui s’occupe de l’enterrement de son père. Il déclare : « Comme si tout le monde ne savait pas qu’il voit des gens morts tous les jours ». Qu’il ait raison ou non dans sa colère, sa remarque révèle quelque chose à propos du deuil : tout le monde n’adopte pas la même attitude face à la mort. La relation que le jeune homme en question, Patrick (Lucas Hedges), entretient avec son oncle, Lee (Casey Affleck), est une belle démonstration de ce principe. Loin du recueillement et de la sobriété que certaines familles présentent après la mort d’un proche, Patrick et Lee passent le plus clair de leur temps à s’injurier et à se disputer sur des sujets divers. Le défunt a laissé un vide qu’ils ne savent pas comment combler. Tandis que le premier tente de continuer sa plaisante vie d’adolescent avec un succès relatif, l’autre éprouve de nombreuses difficultés à accepter et à jouer le rôle de tuteur que son frère lui a assigné.
Par l’authenticité de leurs vifs échanges, Manchester by the Sea parvient à quelque chose auquel peu de films arrivent : nous faire (occasionnellement) oublier qu’on a affaire à une fiction. De Casey Affleck à Michelle Williams, chacun des acteurs participe à rendre ces différents tranches de vie crédibles et à nous faire ressentir les multiples émotions de ces êtres écorchés. Le seul reproche qu’on pourrait adresser aux interprètes du film est que leur célébrité vient parfois dissiper l’illusion que Lonergan et son équipe parviennent si bien à créer.
Obéissant à une démarche naturaliste, ces derniers font rarement recours aux ficelles du mélodrame pour émouvoir, et c’est tout à leur honneur. L’annonce à Lee de la mort de son frère par exemple, est une scène tragique, mais qui n’est pas envisagé comme un spectacle. Les choix de cadrage, de montage ou de mise en scène traitent l’événement pour ce qu’il est : quelque chose de profondément triste, mais qui, d’une certaine manière, est assez banal.
Toute la démarche de Manchester by the Sea tient finalement dans l’idée que le quotidien des personnages ne s’arrête pas pour leur chagrin. Peu importe si une part essentielle de leur existence est morte, leur vie continue d’une manière ou d’une autre. Les situations qu’ils vivent peuvent ainsi être gênantes, inappropriées, voire même, et c’est là que le film surprend le plus, humoristiques. Qu’il s’agisse de l’incapacité des personnages à retrouver où ils ont garé leur voiture dans une rue enneigée, ou des silences de Lee qui prennent des proportions embarrassantes, le film s’applique à faire apparaître l’humour de leur situation, sans trahir son authenticité ou la sincérité de son propos.
Le seul bémol à ce délicat équilibre survient lorsque le film interrompt sa chronologie par quelques flash-backs. Dans ces scènes qui révèlent la tragédie qui a brisé la vie de Lee, le long-métrage prend des accents plus mélodramatiques, laissant l’émotion être dictée par certaines conventions narratives – ou par une musique d’opéra appuyée – plutôt que par son rigoureux naturalisme. Ces ruptures de ton n’amoindrissent pas l’impact émotionnel de Manchester by the Sea, mais lui donne un aspect plus brouillon et moins construit. C’est presque approprié pour un film dont l’essence même est l’imperfection de la vie.