Décrivez-nous ce qu’est l’acrobatie au Maroc ?
Sanae El Kamouni : L’acrobatie est une tradition très ancienne au Maroc, un bijou de notre patrimoine. Les acrobates se disent « enfants » de Sidi Ahmed ou Moussa, un Saint soufi du quinzième siècle, protecteur des acrobates marocains. Les acrobates ne sont pas artistes à la base, mais combattants. Leurs pyramides humaines (qui pouvaient aller jusqu’à 10 ou 11 niveaux) servaient à espionner l’ennemi, et voir ce qui se passait au dessus des murs. Cette acrobatie circulaire (figures circulaires, roues arabes zingas) est spécifique aux acrobates marocains. Ce savoir se transmet de génération en génération, c’est donc une tradition conservée mais très mal connue, même au Maroc.
Quand avez-vous créé la compagnie ? Qu’est-ce qui vous a poussé à la créer et à vous tourner vers cette discipline en particulier ?
Sanae El Kamouni : La compagnie existe depuis 2002. Halka, qui puise aux sources de la tradition, est le premier spectacle créé par le collectif. Il a été encadré par le spécialiste français de la voltige, Abdeliazide Senhadji, cofondateur de la Compagnie XY. C’est la 4ème création de la compagnie après Taoub, Azimut ou Chouf Ouchouf, qui étaient signées par des metteurs en scène reconnus. Pour Azimut, nous avons par exemple travaillé avec Aurélien Bory, metteur en scène et directeur de la Compagnie 111.
L’acrobatie est une tradition qui souffre. Il y a 11 ans, cette discipline n’était pas reconnue. J’ai donc décidé de militer via cet art, pour lui donner un nouveau souffle. La compagnie est enfin reconnue depuis 2013.
Quelle est la place de la création contemporaine au Maroc actuellement ? Est-elle encouragée ?
Sanae El Kamouni : Il y a heureusement une effervescence depuis 2003 avec la création contemporaine, dans les disciplines du cirque et de la danse surtout. Il y a eu une prise de conscience des politiques, qui a mis le temps mais petit à petit …
En quoi consiste l’entrainement des acrobates ? A un moment de la pièce, les acrobates déversent du sable sur la scène, le sable occupe de manière évidente une place importante dans les entrainements. Y-a-t’il d’autres moyens de s’entrainer ?
Sanae El Kamouni : Principalement les entrainements dans le sable, sur la plage de Tanger. Ils utilisent des pierres et du sable qu’ils placent dans des trous creusés au préalable pour aider la propulsion. A côté de ça, il y a le foulard, qui sert de ceinture, et qui leur permettent d’être guidés par d’autres acrobates, pour apprendre.
Les femmes de la pièce sont des femmes fortes, elles sont tour à tour leader (chef d’orchestre, ou reine d’un harem d’acrobates), apaisantes, etc. Quelle est leur place au sein du groupe ?
Sanae El Kamouni : Il faut savoir qu’il y avait beaucoup de femmes acrobates dans le passé. Avec l’évolution de la société, il y en a beaucoup moins. Amal Hammich est née dans une famille d’acrobates. Elle a commencé l’acrobatie à l’âge de trois ans. C’est plus difficile pour elle aujourd’hui car elle est mariée et a un enfant. Dans ce contexte de tournées incessantes, on l’encourage à arrêter mais elle ne lâche pas. Au moment où je vous parle, cela fait plus d’un mois et un demi que la troupe n’est pas rentrée au Maroc.
Il n’y a pas de surtitres dans la pièce. Est-ce un choix ? Faire passer des émotions plutôt que des mots ?
Sanae El Kamouni : Tout a fait. Pour nous les émotions priment sur les mots, et on fait passer ça par les chants, la danse. Il y a de l’affirmation dans les chants sur scène. Le sens de ces chants se retrouve dans le guide pratique que l’on distribue à l’entrée de la salle.
Estelle Vandeweeghe et Elise Lonnet