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    Rachid Djaïdani : « l’eau, la terre, tout est pollué mais surtout les cerveaux »

    À l’occasion de la sortie en salles du film Tour de France, nous sommes partis à la rencontre de Rachid Djaïdani, son réalisateur.

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    Comment est venue l’idée principale de « Tour de France » ?

    Il y a deux trames. À une époque, j’ai deux potes qui ont fait un tour de France pour faire une mixtape, je les ai suivis, ils allaient suivre des rappeurs à travers la France pour créer un album. Et à côté de ça, j’ai filmé un peintre pendant 3 ans, qui s’appelle Yassine « Yaze » Mekhnache, et j’ai fait un documentaire sur lui qui s’appelle Encré. J’ai voulu rassembler ces deux idées, peinture et rap. Après Rengaine, mon premier film, qui ne se passait qu’à Paris, je me suis dit que j’aimerais bien faire découvrir la France à un jeune gars qui n’est jamais sorti de son quartier. Et peu à peu, Serge a été intégré dans l’histoire, puis Joseph Vernet (le peintre du XVIIIème siècle, ndlr)

    D’où vous est venue l’idée d’intégrer ce peintre du 18ème siècle ?

    Je voulais suivre un peintre qui avait une trajectoire en France. Mais tous les peintres que j’avais pu rencontrer ou découvrir peignaient des cathédrales ou des nénuphars juste posés à un endroit. J’ai un ami écrivain qui m’a dit qu’il avait découvert ce peintre à qui Louis XV avait demandé de peindre tous les ports de France.

    Serge à une démarche de peintre de l’instant et Far’hook filme parallèlement des images poétiques des lieux, ce film a-t-il un rapport avec l’impressionnisme ?

    On a ici deux matières nobles. La peinture qui est ancestrale bien sûr, mais surtout le journal de bord, le carnet de voyage. Pour moi, Far’hook tient un journal de bord filmé. C’est pour ça, par exemple, qu’à Bayonne il filme le fromage pour le montrer à ses potes. Un peu comme John Kerouak dans Sur la route : lui, plutôt que d’écrire, il filme avec son smartphone, c’est l’outil de la nouvelle génération. C’est quelque chose que je fais aussi beaucoup. Je suis très inspiré par Jonas Mekas, cinéaste new-yorkais qui, depuis toujours, fait des journaux de bord filmés. C’est le pape de ce genre de travaux. Il m’a beaucoup influencé dans mon travail. Je suis quelqu’un qui filme énormément et c’est vrai que j’ai transposé cela chez Far’hook. Il immortalise des moments qui sont aussi des peintures en mouvement. Les images font une sorte de mise en abime qui permet au spectateur de respirer, d’être dans un autre point de vue, celui de Far’hook. J’étais aussi le regard de Far’hook à travers sa trajectoire. J’ai découvert une France que je ne connaissais pas. J’ai pu découvrir la France dans toute sa simplicité.

    Vous avez pris Gérard Depardieu, icône du cinéma français. Pourquoi ne pas avoir pris un rappeur plus connu pour le rôle de Far’hook ?

    J’ai casté énormément de rappeurs. C’était important que Far’hook soit un rappeur. Il y avait une question d’âge donc, forcément, je ne pouvais pas prendre des artistes comme Booba, Joey Starr ou Oxmo Puccino qui étaient trop vieux pour le rôle et dieu sait que j’ai de l’admiration pour ces artistes, mais il me fallait quelqu’un qui corresponde à l’idée que je me faisais du personnage. Ensuite, je voulais quelqu’un de vierge de façon à ce que face à Tonton (Gérard Depardieu, ndlr), il n’y ait pas de confrontation d’egos. Et surtout, le plus drôle, il fallait quelqu’un qui ait le permis et tous ne l’ont pas. C’est pour ça que quand on regarde les clips, ils sont dans des belles bagnoles à la place du passager en train de rapper, parce qu’ils n’ont pas le permis. Enfin, au-delà de tout cela, il y a une histoire de choix de jeu. Sadek a fait des essais extraordinaires. Comme un footballeur fait une reprise de volée, chez lui c’était bouleversant. L’idée de prendre quelqu’un de plus « bankable » a disparu après ça.

    Est-ce son côté sensible, timide qui a orienté ce choix ?

    Il y a la timidité certes, mais surtout, ce qui est beau, c’est que grâce à la magie des rencontres, il y a presque une ressemblance dans les corps entre Tonton et Sadek. Et puis, il fallait aussi quelqu’un, qui, en face de Tonton puisse se confronter ne serait-ce qu’à travers le regard et même physiquement. Et là, ça a fusionné.

    Vous avez eu un petit rôle dans Le plus beau métier du monde de Gérard Lauzier avec Gérard Depardieu, qu’est-ce que ça fait de se retrouver être l’homme en charge et qui dirige ?

    Vieux dossier (rires), j’étais jeune à l’époque. Mais c’est lui qui porte la charge. Dans mon ADN, il y une marque indélébile de ce que j’ai vécu, de ce voyage initiatique à ses côtés. On rencontre beaucoup de gens mais rencontrer des génies ce n’est pas tous les jours. Là, c’était de l’ordre du mystique. C’est lui qui nous choisit, c’est lui qui nous érige, qui nous porte. Il m’a dit « mon garçon je vais te dire une chose, un conseil. Ne les écoute pas, écoute ta poésie » car un film, on le porte seul et c’est la poésie qui a élevé ce voyage. Il faut être souple et savoir encaisser pour faire des films, faut être un boxeur. Parce que sur les tournages, ce n’est pas tous les jours la fête au village. Il a été un allié et pas un « aliène ». Il n’a eu que des propositions, c’était magique. Rien n’est improvisé, Tonton n’aime pas ça car ce qu’il donne, c’est de la générosité. Le plus dur avec Tonton ce n’est pas de dire « action », c’est de dire « coupez ». C’est le Mohammed Ali du 7ème art.

    Qu’est-ce qui vous a inspiré pour le personnage de Serge ?

    C’est un peu le type de compagnon que j’ai pu rencontrer quand j’étais ouvrier et quand j’étais « Mousse ». « Mousse », c’est celui qui fait toutes les petites tâches sur les chantiers : faire le mortier, le béton, porter les seaux, nettoyer les outils, aller chercher le vin, acheter du jambon pour les sandwichs. En effet, c’est avec ces gens que j’ai pu apprendre ce beau métier qu’est la maçonnerie et c’était des gens qui étaient sans filtre.

    Y-avait-il une sorte d’urgence à aborder ce sujet de l’opposition de deux France ?

    Mon but était de faire un lien dans l’urgence. Ce qu’il faut, c’est que l’espace d’un moment, on se regarde l’un l’autre et une fois qu’on a compris que c’est compliqué, on peut se poser vers la lumière. Parce qu’on va prendre le même kif. Ça va être compliqué mais on va prendre le même plaisir. On n’est pas d’accord mais on ne se tire pas dessus. Parce que malheureusement aujourd’hui se tirer dessus n’est plus une métaphore. Parce qu’on nous a montré que c’était eux contre nous, nous contre eux. On nous a démontré que la France était soit raciste et irrécupérable soit racailleuse, islamiste et également irrécupérable. Serge et Far’hook, ce sont deux extrêmes mais en même temps c’est la même France.

    Vous avez fait vos débuts comme régisseur sur La haine de Mathieu Kassovitz, pensez-vous que l’époque a changée ?

    C’est pire. Je crois que les politiques n’ont jamais pris conscience de l’ampleur des dégâts. De leurs mots et des maux d’une société qui vit en apnée. Qui ne respirent qu’en se « bunkerisant » ou qu’en exprimant leur peur qu’à travers leur vote pour les élections, tous les cinq ans. Il y a des gens qui n’existent que tous les cinq ans, pour aller voter et d’autres qui ont décidé que tout est mort. Et ma démarche est de ramener ces gens sur de bonnes bases. J’aime me dire que ce film va rester comme une trace de notre époque.

    Le personnage de Maude est-il votre point de vue personnel sur la façon de voir le monde ?

    Le personnage de Maude est avant tout le personnage de la femme. Pour moi, Far’hook n’avait jamais fait l’amour avec une femme. Malgré son côté macho-rappeur, il n’a jamais été dans une relation amoureuse ou sexuelle avec une femme. Ce qui montre sa fragilité. Ensuite, pour moi, l’eau, la femme, c’est ce qui porte l’humanité, c’est la mère nourricière. Elle, en tant que femme, décide de s’engager car la pollution est la chose qui nous détruit avant tout. L’homme a tout pollué et la femme, la mère nourricière, dit stop et décide de s’occuper de la nature, car de l’homme il n’y a plus rien à en tirer. Tout ça pour en arriver à cette conclusion unanime des personnages : l’eau, la terre, tout est pollué mais surtout les cerveaux.

    Bruno Pons
    Bruno Pons
    Journaliste du Suricate Magazine

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