Paterson
de Jim Jarmusch
Drame, Comédie
Avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward
Sorti le 7 décembre 2016
Qu’ils aient pour personnages des petits truands, des vampires ou des musiciens, les films de Jim Jarmusch ne sont jamais particulièrement prompts à la dramaturgie ou aux conflits. À travers une carrière de plus de 30 ans, le cinéaste indépendant américain a développé une filmographie singulière, dans laquelle le minimalisme et la contemplation ont plus leur place que les retournements de situation. Paterson, son dernier long-métrage, ne déroge pas à la règle.
Le film se concentre sur une semaine de la vie de Paterson (Adam Driver), un homme dont l’existence est presque dénuée de toute agitation. Chauffeur de bus pendant la journée et poète à ses heures perdues, sa vie tranquille est rythmée par des rituels répétitifs. Aux aurores, il se réveille au côté de sa compagne, Laura (Golshifteh Farahani), avec qui il vit une relation saine et équilibrée. En journée, il part travailler, parcourant avec son bus la petite ville du New Jersey qui porte le même nom que lui. En soirée, il boit une bière au bar du coin, où il échange quelques mots avec le barman avant d’aller se coucher.
C’est une routine qui devrait être lassante, pour le spectateur comme pour le personnage, mais que le film envisage comme une constante source de méditation et de réflexion. Une boîte d’allumettes, un banc d’un parc, une conversation entre deux adolescents anarchistes, tous les aspects du quotidien de Paterson possèdent un sens et une beauté, qu’il retranscrit sous forme de poèmes dans un petit carnet. Ses mots s’inscrivent en larges lettres sur les images du film, mais leur nature est essentiellement privée. Contrairement à sa compagne, dont l’enthousiasme débridé pour une multitude de projets artistiques est aussi charmant que drôle, il ne pense pas à la gloire et la fortune que pourrait lui apporter sa poésie. Il n’en a pas besoin : son quotidien et son art sont en parfaite harmonie, se nourrissant l’un l’autre.
Si un objectif précis devait être attribué au film, ce serait celui de nous faire partager la perspective de cet homme serein et plein d’humilité. Jarmusch atteint pleinement ce but, utilisant tout son talent et son expérience pour nous happer dans la douce beauté d’une vie ordinaire. À cet égard, la performance d’Adam Driver se doit également d’être saluée : son jeu tout en nuance permet de suggérer la richesse de la vie intérieure de ce personnage très introverti. Lorsqu’un rare coup du hasard vient perturber le quotidien ou l’écriture poétique de Paterson, on saisit parfaitement l’importance qu’un événement mineur peut revêtir à ses yeux, et à quel point la création artistique est une activité essentielle à son équilibre.
À travers le regard observateur du personnage, le spectateur pourra remarquer que de multiples motifs visuels et répliques se répètent à travers le film, comme autant de rimes internes se faisant échos les unes aux autres. Il suffit que Laura raconte à son compagnon un rêve dans lequel elle donne naissance à des jumeaux pour que la gémellité apparaisse à chaque coin de rue, sous de multiples formes, ou que le nom d’un vieil acteur soit évoqué au détour d’une conversation pour que ses films apparaissent à la télévision, dans le journal et sur des affiches. Le long-métrage est rempli de ce genre de petits détails, dont la signification semble nous être réservée, comme un secret partagé entre nous et le personnage.
Paterson est peut-être l’oeuvre la plus modeste de Jarmusch, mais son minimalisme n’est pas une figure de style, c’est sa raison d’être. C’est une invitation à chercher le sens et la beauté que peut receler le quotidien le plus commun ; un poème cinématographique dont la simplicité résonne longtemps après que le film soit terminé.