De David Hare, mise en scène : Olivier Bourdon avec Didier de Neck, Lise Wittamer, Lucas Meister, Guillaume Alexandre, Renaud Garnier Fourniguet, Sophie Maillard, Laurent Staudt et Anne-Marie Loop
Du 18 au 29 octobre 2016 au Théâtre de l’Océan Nord
1992, le parti travailliste, bien parti pour remporter les élections législatives britanniques, perd le scrutin de façon inattendue. David Hare mène son enquête et suit pendant plusieurs mois la campagne du parti à la fin des années 1980. La première a lieu début 1993, mais la représentation de la pièce est si proche de l’échec encore cuisant du parti qu’un trouble palpable se fait sentir chez les spectateurs. Ironie du sort, parmi ceux-ci se trouve Tony Blair, jeune candidat travailliste qui deviendra le chef du gouvernement en 1997. En sortant du théâtre ce soir là, il jure que les déboires de George Jones (protagoniste fictif de la pièce largement inspiré du leader Neil Kinnock) ne se répéteront pas avec lui. C’est alors que l’Histoire politique rejoint l’Histoire du spectacle vivant. Et qui sait si ce n’est pas grâce à ce serment que le jeune espoir du parti, prenant le contre pied de Jones, donnera un nouveau visage au parti par l’expression « New Labour » et élaguera les clauses typiquement socialistes de la charte de 1918 ?
Pourtant ce n’est pas pour son historicité que L’absence de guerre marque des points. Loin de s’attacher à une intrigue purement historique qui permet à l’auteur la surprenante observation d’une réalité politique, c’est par son immersion dans un microcosme en pleine ébullition de politiques en campagne électorale qu’elle prend tout son sens. L’intérêt est ici de dévoiler à un spectateur, également citoyen et électeur, la désillusion vis-à-vis des véritables perspectives politiques des membres d’un parti. La pièce met au grand jour l’intimité d’un parti médiatisé et montre ainsi la véritable nature d’un visage fardé de beaux discours. Cet éclairage humoristique et parfois touchant des coulisses des travaillistes britanniques vient troubler le mirage d’une gauche sûre d’elle même. La pièce rend compte de la prise au piège des politiques dans une démocratie représentative vicieuse et imparfaite. Sa remise en cause n’est pas clairement affichée mais elle est perceptible pour qui sait lire entre les lignes de la mise en scène. L’enjeu politique est alors totalement différent de ce que la masse espère de celui qu’elle élit, car il n’est en fait qu’accession au pouvoir et stratégie élective. La qualité d’un homme politique devient alors exclusivement l’art de l’éloquence, un charisme prêt à tout pour que l’électeur potentiel inscrive le nom de « Jones » sur son bulletin de vote. Ce qui est demandé à George, ce n’est plus de défendre les droits des travailleurs ou de savoir gouverner un pays mais bien d’être capable de modeler son discours en fonction de l’opinion publique et des derniers sondages obtenus.
Malheureusement, la pièce s’ouvre sur un début peu accrocheur, des comédiens instables dans leurs rôles encore trop flous, excepté Didier de Neck et Lise Wittamer qui font preuve d’une justesse et d’une précision déconcertante tout au long de la pièce. L’inconfort amateur des comédiens qui peinent à entrer dans leurs personnages est trop visible et fait tache dans la mise en place d’une situation initiale bancale. Par la suite, les rôles s’harmonisent et chacun affirme son caractère de manière à évoluer vers plus d’exactitude. On notera tout de même le ton dissonant de Guillaume Alexandre, qui trouve enfin sa voie à la fin de la pièce quand il décharge toute sa véhémence à l’encontre de Jones après l’échec des élections. Son personnage se révèle finalement et marque la consécration de son antipathie assumée. Il est le seul du petit groupe de supporters presque fanatiques du chef du parti à ne pas tomber dans le protectionnisme dans lequel Jones baigne constamment. Il est donc dommage qu’il n’incarne pas son rôle de rabat joie avec plus de vraisemblance. L’apparition comique d’Anne Marie Loop, dans le rôle d’une Vera désuète, est l’incarnation même de l’idéologie travailliste vibrante de désaccords internes et d’un parti d’idées populaires transformé en un parti de clowns médiatiques. C’est une réussite qui insiste bien sur la dé-radicalisation du parti. Didier de Neck nous révèle un George à la fois drôle et touchant. Ce « grand homme » se fait passer la corde au cou par des médias qui traquent chacun de ses faux pas : au moindre écart, ils n’hésitent pas à le frapper de plein fouet. Une scène particulièrement forte, subtilement soulignée par un jeu d’ombre, illustre à merveille cette idée. Il est sans cesse infantilisé par son cercle politique qui lui écrit tous ses discours et lui interdit de parler d’économie ou d’employer le terme « égalité » car « équité » fonctionne mieux. Il subit une autocensure induite par la volonté de préserver un parti qui doit paraître fort. Le seul moment où il s’autorise à essayer de se délester de toutes ces brides, il se ridiculise en plein discours publique et c’est précisément là que la pièce atteint son paroxysme. Une fois loin des projecteurs, George éclate et nous révèle tout ce qu’il aurait voulu dire sans l’hypocrisie politique qu’il doit soutenir mais dont il est aussi la victime.
La musique est un élément fort de la pièce et vient renforcer avec brio les moments d’émotion.
Olivier Boudon a choisi une mise en scène minimaliste mais efficace. En l’absence de guerre et dans un contexte d’expansion du modèle libéral, il nous livre le tableau tragicomique du passage d’une société politique à une société du spectacle.