Conception et chorégraphie : Ivo Dimchev performance : Plamena Girginova, Nickolay Voynov, Ivo Dimchev
Le 14 octobre 2016 au Kaaitheater
Toi qui entres au Kaai pour la performance d’Ivo Dimchev, abandonne tout espoir de savoir où tu es et ce que tu vas voir. Ne cherche pas à comprendre, à appréhender par la raison ce qui se passe dans cet espace double. Car la performance se passe sur deux plans : le premier, c’est ce carré blanc délimité sur scène par des projecteurs, où évoluent deux hommes et une femme. Le second, c’est le panneau où défile un texte en anglais, flot de pensées ininterrompues, fragments d’images, sensations, fulgurances.
Il serait vain de s’entêter à vouloir trouver une cohérence au sein de ces deux plans, ou entre eux : s’il y a un fil, il est constitué par Ivo Dimchev lui-même, présence énorme et singulière, dérangée dérangeante. Avec les deux autres performeurs (Plamena Girginova et Nickolay Voynov), l’un au corps affûté et sec, compassé dans un costume raide, l’autre en robe pourpre scintillante mais tout aussi impassible, Ivo, exubérante perruque blonde, teint blanc grimé, lèvres de sang, joue avec son corps gauche et lourd une chorégraphie malade, dissonante, tournant au grotesque voire au burlesque. Des mouvements aux sons, tout est ici guetté par l’informe, la régression de l’humain vers la larve, de la vie vers le néant : le langage est inarticulé, les voix d’opéra se muent en barrissement d’éléphant, les bouches grignotent les doigts et les petits morceaux des autres. Dans le texte qui défile, c’est un flux de conscience émietté qui s’épanche, celui d’un être traversé par des bribes de souvenirs, d’actions, de visions. Si on comprend ici la langue, à la différence des chuintements, grincements et souffles émanant de la scène, il est tout aussi inutile d’y espérer une ossature à même d’y faire tenir un tout : si on décide de rester, il faut se laisser envahir par cette agrégation de pensées pulvérisées, infiltrées par l’angoisse, la solitude et la mort.
Operville tourne autour d’un centre creux, celui de la dépression, du rien, de l’affaissement. Pourtant, dans cet opéra décomposé qui tourne à vide, il y a aussi de l’humour : c’est Ivo qui l’amène, avec son corps de brute et sa voix de fausset, ses tentatives sauvages pour attraper les deux autres. Il y a aussi une croyance nette dans la beauté du son et la puissance des images – l’imaginaire étrange qui se déploie dans le texte, mêlant l’exotisme onirique et la banalité la plus triviale, en produit parfois de très belles. Ce reste d’espérance, dans cette performance largement dépressive, sauve Operville de l’ennui et de l’impression de déjà-vu dans lequel nous plonge trop souvent un certain art d’aujourd’hui qui ne cesse de répéter qu’il n’y a plus rien à dire.