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    Interview de Sylvestre Sbille pour Je te survivrai

    Ce mercredi, Je te survivrai est sorti dans les salles belges. Un huis-clos à la fois dramatique et humoristique aux personnages caricaturaux. À la tête de cette réalisation originale, Sylvestre Sbille.

    Pour son premier long métrage, nous sommes partis à la rencontre du cinéaste. Un homme très sympathique qui n’a éludé aucune question.

    Nous ne connaissions pas vraiment Sylvestre Sbille avant Je te survivrai, quel a été votre parcours ?

    Depuis tout jeune, je souhaitais faire du cinéma mais je ne savais pas encore sous quelle forme. Je me suis d’abord tourné vers des études d’Histoire de l’art à l’ULB pendant quatre ans, pour ensuite me diriger vers l’INSAS en montage. C’est grâce à Philippe Blasband (Ndlr : scénariste d’Angélique ou encore Les émotifs anonymes) que je me suis lancé dans la section montage plutôt que dans celle de la réalisation.

    Je suis sorti de l’INSAS en 1997 et en 1999, je réalisais Vieille canaille, un court métrage auto-produit. Mais avant cela, j’avais déjà travaillé sur des grosses productions comme assistant régie, assistant réalisateur, etc. En 1998, j’avais notamment travaillé sur une grosse production américaine intitulée A dog of Flanders et sur Les convoyeurs attendent.

    Après tout cela, j’ai notamment travaillé à Télé Bruxelles où l’ambiance était très chaleureuse et très agréable. Mais régulièrement, je les quittais pour partir sur un tournage pendant environ trois mois.

    En parallèle, je développais une série de scénarios en espérant un jour pouvoir les porter à l’écran.

    Je te survivrai en faisait-il partie ?

    Oui et ce n’était pas le seul. J’ai toujours plusieurs histoires au fond d’un tiroir.

    Est-il plus facile d’être scénariste et réalisateur du film ?

    Bien sûr. D’autant que l’écriture a été retravaillée plusieurs fois en partenariat avec ma co-scénariste Emmanuelle Pirotte.

    Maintenant, sur le tournage en lui-même, il est vrai que cela vous laisse une certaine liberté. Les scènes qui font doublon, vous pouvez choisir laquelle vous plait le mieux. Ce fût particulièrement le cas avec la signification du temps qui passe dans le puits.

    C’est aussi intéressant lorsque vous avez un acteur qui vous propose des choses. David Murgia, via le personnage de Kéké m’a proposé cela, et j’étais client. Lorsque vous avez écrit – et réécrit – le scénario, vous connaissez vos personnages par coeur et vous savez dès lors ce qui est bon ou mauvais.

    Votre film se nomme Je te survivrai. À la seule lecture de celui-ci, on pense irrémédiablement au titre phare de Jean-Pierre François. Comment ce titre vous est-il venu à l’esprit ?

    Au départ, cela s’appelait Le puits. Mais au fur et à mesure, nous nous sommes rendus compte que dans le côté tragique de la situation, il y avait également un côté comique. Il fallait accentuer cela.

    Le choix du titre est donc venu avec l’écriture plus légère et humoristique – apportée surtout par Emmanuelle Pirotte – qui nous faisait penser à Radio Chevauchoir, la radio locale. Ce côté kitsch des chansons des années 80 que le personnage principal adore.

    Nous avons donc assumé ce titre, qui n’était pas protégé. On peut protéger un air ou une chanson mais plus difficilement son titre. De plus, Didier Barbelivien (Ndlr : le compositeur de la chanson Je te survivrai) a été super avec nous afin de nous donner l’opportunité d’utiliser la musique dans le film. Car il est clair que si les droits avaient été de 30000 euros, on aurait du trouver une autre chanson comique.

    On parle de comédie pour ce film mais peut-on également parler de comédie dramatique et psychologique ?

    Oui, bien sûr. Dans ce film, on visite beaucoup de genres de par sa construction relativement simple. On peut même le qualifier de thriller psychologique.

    Mais vous avez quelque part raison, les aspects dramatique et psychologique ressortent, et c’est tant mieux. D’ailleurs, pendant le tournage, même si le sujet restait humoristique, il y a des instants où le drame prenait le dessus. Lorsque que vous avez un acteur dans un puits face à vous, vous avez envie qu’il sorte.

    Hormis les personnages incarnés par Ben Riga et Jonathan Zaccaï, les autres protagonistes sont également dotés d’un caractère extrême. Etait-ce voulu dès le départ de présenter des personnages un peu allumés ?

    Oui. Dans Le Grand Jeu, l’un de mes courts métrages, c’était déjà comme cela.

    Le but était de montrer les gens avec un petit twist en plus. Le regard que l’on porte sur eux est dès lors à la fois tendre et féroce.

    Féroce car je suis quelqu’un de cynique et ironique. J’aime montrer le côté pathétique des gens.

    En accentuant les accents par exemple ?

    Oui… Vous savez, j’habite à Namur depuis une dizaine d’années et, lorsque vous regardez la bande des Benoît – Benoît Mariage, Benoît Poelvoorde, Benoît Bertuzzo – et toute une série de gens qui tournent autour d’eux, vous constatez très vite qu’il y a un côté gouailleur namurois.

    Ce sont des gens qui ont une auto-dérision très forte, bien plus qu’à Bruxelles ou à Liège. À Namur, on peut très bien se foutre du dernier arrivé sur la terrasse d’un café en se moquant ouvertement de lui, mais si quelqu’un a le malheur de le critiquer méchamment, les mêmes personnes qui l’avaient taquiné vont prendre sa défense.

    C’est cela que j’ai voulu montrer dans le film et à travers les personnages de l’agence. C’est inspiré d’une vraie agence et des gens que ma femme a réellement fréquentés.

    La province belge, c’est ça. Les gens ont des accents et ils n’hésitent pas à le pousser un peu, à en jouer.

    Mais je voulais qu’il reste crédible, c’est pourquoi je leur ai laissé un côté attachant et tendre, comme pour le personnage de Kéké par exemple. On s’attache à lui pas seulement parce qu’il s’appelle Kéké, qu’il parle du nez et qu’il est « bigger than life », mais aussi et surtout parce qu’on sent qu’il a un lien très fort avec son patron.

    En parlant des acteurs, on remarque que vous avez choisi des acteurs confirmés comme Tania Garbarski et Jonathan Zaccaï, mais aussi les futurs grands talents du cinéma belge que sont Laurent Capelluto et David Murgia. Est-ce vous qui êtes allé les chercher ou bien ce sont eux, via un casting, qui vous ont trouvé ?

    Non, il n’y a pas eu de casting. Je ne vais pas dire que j’ai écrit les rôles pour eux, mais j’espérais qu’ils soient tentés par ces personnages. Mais j’en connaissais déjà certains. Tania était à l’INSAS en même temps que moi et Laurent était avec moi à l’école.

    David Murgia, je l’ai découvert dans Rundskop, dans le rôle d’un jeune taré. À cette époque-là, je pensais d’ailleurs que la production avait pris un type avec un grave problème mental. Il est génial dans ce film.

    C’est André (Logie), mon producteur, qui me l’a renseigné. J’ai tout de suite dit oui. Il est impressionnant dans le rôle de Kéké. Comme vous le dites, c’est le plus grand espoir du cinéma belge.

    Mis à part cela, ce que j’aime chez les acteurs belges comparé aux acteurs français par exemple, c’est qu’il ne faut pas sans arrêt refaire des propositions via l’agent. Un jour c’est oui, un jour c’est non parce qu’ils ont reçu un projet mieux rémunéré ou venant d’un metteur en scène plus en vue.

    Avez-vous d’autres projets en cours avec ces acteurs ?

    Oui. J’ai un projet de film qui se déroule pendant la bataille des Ardennes. Tout se passe dans une cave où se cache une petite fille juive. Celle-ci va rencontrer un soldat allemand déguisé en soldat américain. C’est un plus gros projet, donc il faudra environ un an et demi avant de pouvoir le faire.

    Entretemps, je me consacre à un film plus petit qui s’appelle Cyrano de Porcheresse. C’est l’histoire d’un homme – incarné par Renaud Rutten – qui est comédien mais habitué aux utilités, c’est-à-dire qu’il joue un boulanger, un garagiste, un directeur d’école, etc. Le reste du temps, il travaille au labyrinthe de Durbuy. Un jour, on l’appelle sur un plus gros tournage et il est finalement coupé au montage. Un traumatisme pour lui. Il enlève alors le metteur en scène et l’enferme afin de le persuader de faire un film pour lui.

    Je parle de ce dernier projet car Laurent Capelluto, Tania Garbarski et David Murgia seront présents au casting. C’est une belle génération que nous n’avons pas fini de voir à l’écran.

    « Derrière chaque humain se cache un bon fond », est-ce que cette phrase pourrait résumer la morale de l’histoire ? En tenant compte du parallèle comique avec le fond du puits.

    Oui, mais nous avons essayé de ne pas être trop manichéen. Le gars qui était mauvais et qui à la fin devient bon – comme dans Jerry Maguire avec Tom Cruise – personne n’y croit un instant.

    Ici, l’agent immobilier reste un peu insupportable, il y a juste une petite partie de lui qui s’est ouverte. Si dans la vie, on arrive à changer de 3 %, c’est déjà beaucoup.

    Est-il difficile de travailler constamment en huis-clos ? N’a-t-on pas à un moment l’impression de tourner en rond ?

    Les moments les plus intéressants et les plus intenses sont ceux où nous étions avec Jonathan dans le puits. Comment faire pour être tout le temps juste ? Comment rester un maximum dans la psychologie du personnage ? Sascha Wernik, le chef-opérateur, et moi-même avons constamment eu ces questions à l’esprit.

    Le jeu était de travailler dans un mètre carré et de savoir comment s’amuser et faire évoluer le personnage là-dedans.

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    Matthieu Matthys
    Matthieu Matthys
    Directeur de publication - responsable cinéma du Suricate Magazine.

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