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    BIFFF 2014 : Interview de Benjamin Rocher

    Crédit photo : Aurore Belot

    Pour commencer, Benjamin Rocher, qui êtes-vous ? D’où venez-vous ?

    Je suis réalisateur de la première mi-temps (première partie) de Goal of the Dead et j’avais auparavant coréalisé La Horde, également un film de zombies avec Yannick Dahan. Avant, je faisais plutôt de la télé et des court-métrages. La Horde a très bien fonctionné en festival, mais là où c’était un souvenir un peu douloureux, c’est quand il est sorti dans le circuit traditionnel. Il a été mal vendu comme du cinéma traditionnel et le film n’est pas passé du tout. C’est d’ailleurs suite à cette expérience que je me suis dit que si je refaisais un film dans ce style-là, je ne l’exploiterais qu’en festival, je ne me jetterai plus dans la fosse aux lions.

    Le fait d’avoir fait Goal of the Dead en deux parties empêche justement une exploitation normale ?

    Le projet global était de proposer plutôt une soirée avec deux films, un entracte, des activités après, boire un verre entre amis et de le voir dans les meilleures conditions : en festival.

    N’est-ce pas un manque à gagner ?

    Non, car aujourd’hui, en France, les distributeurs ne prennent plus de risques sur les « petits » films de genre car, avec ces petits films, ils ne s’y sont jamais retrouvés. On a même un avantage, bien que l’on ait moins d’argent, on a moins de pressions financières par rapport à un succès en salle.

    Donc l’idée est de l’exploiter ensuite dans le circuit du DVD et de la VOD ?

    Il y a un public pour ce genre de cinéma, mais trop peu pour un circuit classique. On voulait tout de même le faire pour le cinéma, d’où cette exploitation en festivals ou dans certaines salles de grandes villes de France. Comme ça, tout le monde peut le voir en salles et ceux qui n’iraient de toute façon pas, pourront le découvrir à la sortie vidéo (Ndlr : début Juin 2014). C’est une expérience un peu hybride et on a du mal en France, où tout est bien établi, ou à la presse française, à faire comprendre que c’est une vraie sortie et non un Direct-to-Video. On a choisi d’essayer une nouvelle formule.

    Comment s’est passé la collaboration avec Thierry Poiraud ? Comment avez-vous collaboré ? Qu’est-ce que chacun a apporté au film ?

    On avait chacun co-réalisé avant et on avait déjà la culture du travail d’équipe, où l’on doit parfois mettre son ego de côté. Ce qui a permis d’apporter, chacun, un peu de nous pour servir un projet global. On a d’abord travaillé sur les deux films en entier, avant même de se répartir les rôles. (la direction artistique, le look du film, le casting, les costumes, etc.)

    De qui vient l’idée de mélanger football et zombies ? Même si avec du curling, cela aurait été peut-être moins palpitant !

    Ou le Ping-Pong ou Badminton-Loups-Garous ! Sinon, l’idée vient du producteur et du scénariste (Ndlr : Raphaël Rocher et Nicolas Peufaillit) qui ont réfléchi à une façon de proposer un film de zombies, qui n’est pas gratuit. Ils voulaient aussi parler de la France et de sa culture, du rapport Paris-Province. Une guerre que l’on voit beaucoup dans le football justement.

    Mais aussi pour traiter du milieu du foot, rarement exploré convenablement. Bien sûr, il y a eu Coup de tête (de Jean-Jacques Annaud) ou A Mort l’arbitre (de Jean-Pierre Mocky) qui étaient super, mais il y a peu de films qui traitent de cette aliénation collective.

    On s’est dit aussi que des joueurs de Ligue 1 du PSG, des milliardaires assistés, c’était déjà génial de les voir livrés à eux-mêmes et d’y ajouter des zombies, cela nous faisait vraiment marrer.

    Un peu comme le personnage de Diago…

    Oui, avec ces personnages, on a une galerie vraiment truculente ! Entre le milliardaire qui est bientôt à la retraite, le mec qui revient dans son village natal et qui revit les fantômes du passé (c’est un bon ressort comique), l’entraîneur bloqué dans son monde et ses habitudes, l’agent sans scrupule, etc. tous des personnages intéressants à traiter.

    Les zombies ne sont d’ailleurs pas vraiment des zombies, mais des supporters extrêmes, des sortes de hooligans +++ !

    D’où vient ce parti pris de contaminer par une sorte de liquide blanchâtre plutôt que par morsure ?

    On ne voulait pas faire du zombie juste pour exploiter le genre. D’autres le font bien mieux que nous. On voulait surtout traiter de l’aliénation du football, des supporters, de la violence de ce milieu à travers un film fantastique. Ce qui nous intéressait c’est la notion de contamination et la notion de violence. Et aussi le côté un peu crade, du vomi blanchâtre qui ressemble, un peu, à de la mousse de bière. D’ailleurs, tous les bons films de zombies condensent les enjeux du personnage et du film. Ils ne sont pas intéressants s’ils sont juste avec des zombies.

    Le problème avec le liquide blanchâtre, c’est quand ils combattent de manière rapprochée, le zombie pourrait lui vomir dessus et ne le fait pas, cela ne donne-t-il pas quelques scènes irréalistes ?

    Avec tous les monstres et dans tous les films, il y a ce genre de scènes ; cela fait partie un peu des conventions du genre (rires).

    Au final, c’est un pamphlet contre le football ?

    Non c’est plutôt un regard acide et malpoli sur ce monde-là, qui nous amuse. On est des sales gosses plus que des gens qui ont un discours politique. Les personnages sont, en même temps, tous un peu constitué, mais attachants aussi. Ce n’est pas un film politique contre le football.

    Mais à la base, vous aimez le foot ?

    Pas particulièrement. Mais du coup, j’ai un regard distant et critique sur cet univers, et je peux plus facilement m’en amuser. Dans le film, tu as beaucoup d’allusions à des faits marquants du foot comme les clins d’œil, qui sont plus tirés d’une culture footballistique que d’une véritable passion. Par exemple, on a trois joueurs qui sont coréens et qui s’appelle tous Park. C’est une allusion à Thierry Rolland qui avait des relents racistes parfois assez violents. C’étaient des remarques hyper choquantes, quand tu as du recul par rapport au football. Cela me permet de parler aussi du racisme passif des Français en général.

    J’ai coupé pas mal de choses violentes qui ne passaient pas au montage. A un moment donné, il y avait le personnage du cameraman parisien qui faisait des réflexions racistes sur le public local (consanguins, pouilleux, etc.). Cela passait moyen auprès des publics tests et j’ai préféré le dégager, mais c’était une référence à la banderole Lens-Paris (Ndlr : des supporters parisiens ont écrit «Pédophiles, chômeurs et consanguins : Bienvenue chez les Ch’tis » pendant un match opposant le PSG à Lens).

    Je voulais montrer tout ce qui mauvais dans le football, car ce qui est bien dans ce sport n’est pas marrant.

    Le foot au cinéma pose souvent problème car il y a un manque de crédibilité énorme quand il s’agit de filmer les matchs.

    Pour filmer du foot, il y a deux trucs ! Les films de sport que j’aime sont réussis, car le personnage est intéressant et non parce qu’il est bien filmé. C’est souvent mieux réussi, quand le sport est une toile de fond. Comme un film que j’aime beaucoup, le film sur l’équipe de Leeds (The Damned United). Ce qui m’intéresse c’est l’histoire à côté et non le match.

    Deuxièmement, le football n’est pas très cinématographique ; c’est hyper dur à filmer, parce que le rythme est particulier, la pelouse verte n’est pas très cinégénique, etc. On a aussi une autre grosse difficulté : tout le monde a l’habitude de voir des matchs de foot à la télé, tout le monde sait à quoi cela doit ressembler. Les matchs qui passent à la télé sont filmés avec des moyens, que jamais aucun film n’aura. Et encore moins un petit budget comme Goal of the Dead.

    Mais je reste convaincu que le principal reste l’histoire et non comment on filme les matchs.

    Oui, mais inversement, si le public voit une scène de match irréaliste , il risque aussi de décrocher, d’être déçu.

    Oui, il faut doser entre les deux. Nous, le parti que l’on a pris, les moyens étant, c’est de faire en sorte de ne pas traiter en tant que tel le match (qui mène, qui prend la balle, etc.) mais le personnage qui joue et sa rivalité entre lui, le vieux, et le jeune qui monte. Cela ne ressemble à aucun match de foot : visuellement, l’éclairage n’a rien à voir, et on l’a filmé dans le but de créer une sorte de réalité alternative. Un mixte entre une BD et Olive et Tom.

    Pourtant j’ai vu que vous aviez un journaliste de So Foot qui vous a conseillé durant le tournage ?

    Oui, les gens de So Foot nous ont aidés à entraîner les comédiens. Pour Alban Lenoir c’était facile car il bosse déjà beaucoup physiquement. Quand on lui a dit qu’il devait avoir l’air d’un footballeur professionnel, son physique était à niveau, mais, en revanche, il ne savait pas taper dans un ballon. Il a fait alors plusieurs stages avec les gens de So Foot. Ils nous ont aidés aussi pour tout ce qui concerne le off du football : des petites anecdotes, des travers, etc. C’était cohérent de faire appel à des gars qui travaillent pour des magazines, qui traitent de foot et de cinéma (So Foot et So Film).

    Une chose qui m’a marqué, que j’ai repérée directement, ce sont les acteurs qui étaient à la base de la série géniale sur le Seconde Guerre mondiale, Lazzy Company (Alban Lenoir, Alexandre Philip et Benoît Moret). Est-ce une coïncidence ou justement une continuité d’une nouvelle vague d’humour où l’on tente des choses folles, sensées ne pas fonctionner en France ?

    Ha ! Tu connais la Lazzy ! En fait, c’est ma boîte de prod’ qui produit cette série (Empreinte Digitale avec son frère Raphaël, aussi producteur de Goal of the Dead). Evidemment donc qu’il y a un lien. J’étais présent dans les locaux et j’étais très intéressé par le développement de cette série. Je suis assez fan de ce qu’ils font. Et, au moment de préparer Goal of the Dead, je me suis dit qu’ils étaient quand même bons ces acteurs de la Lazzy ! On a un peu fait notre marché dans cette série, de locaux voisins à locaux voisins. On n’a pas brillé par notre originalité niveau casting, mais je pense que ce sont des gens qui ont vraiment leurs places dans cette aventure-là !

    Ce qui est bien c’est que cela sonne comme une sorte de renouveau du cinéma français, avec une famille un peu à part qui va vers des choses complètements folles. C’est ce qui, personnellement, m’intéresse au cinéma.

    On avait envie, aussi, avec Goal of the Dead, de proposer une nouvelle donne, avec des gens que l’on avait presque ou jamais vus. Que ce soit Tiphaine Daviot (Plus belle la vie), Alban, les gens de la Lazzy ou Ahmed Sylla (qui avait fait du stand-up mais jamais de cinéma), etc. On voulait rafraîchir un peu tout, ça en proposant de nouvelles gueules !

    Une chose marquante, vous avez tendance à utiliser énormément de ralentis dans plusieurs scènes clés et violentes : était-ce à cause du budget ou un plaisir cinématographique ?

    C’est la partie de Thierry Poiraut. Mais je vais y répondre. S’il y a deux réalisateurs, c’est aussi pour la diversité, mais on a travaillé aussi, pour qu’il y ait une continuité entre les deux parties. C’étaient des choix esthétiques et le plaisir de Thierry : ce sont, au final, des ralentis jouissifs et marrants.

    Avez-vous essayé d’entendre dans la salle du BIFFF comment se passait le film, le public pouvant y être déconcertant ?

    J’y étais ! J’adore ! Martiiiiine, la poooorte !

    Petite question traditionnelle au BIFFF pour finir : ton film d’amour et ton film gore préféré ?

    Je ne sais pas si c’est mon préféré, car j’adore Creepshow, les Romero mais le film que je revois à chaque fois, avec autant de plaisir, où je trouve, chaque fois, de nouvelles choses, c’est Evil Dead 2. C’est un peu mon graal du cinéma de genre. Son côté punk, énergique, créatif à tout les plans … Je suis un amoureux de Tex Avery et j’y retrouve tout ce que j’aime, mélangé avec la mise en scène de Sam Raimi.

    Et le film d’amour ?

    La dernière expérience de chiale au cinéma : la ressortie de Titanic en 3D. J’y suis allé avec ma grande fille qui a 13 ans, et c’était génial de faire une séance ensemble. Elle ne l’avait jamais vu et on s’est retrouvés côte à côte, père et fille, un dimanche au cinéma, en larmes. Ce n’est pas mon film préféré, mais c’est ma dernière expérience.

    Dernière question : quels sont tes futurs projets ?

    J’ai plein de projets en cours de développement, mais, tant que je ne suis pas en tournage, je ne sais pas lequel va démarrer le plus vite. Je ne peux pas te dire le prochain, mais je développe, en même temps, des petits films à petits budgets, bien énervés, bien punks et du film un peu plus mainstream, grand public mais dans des familles que j’aime : de la comédie d’action, du film d’action, du polar, etc. J’essaye de développer un peu des deux, et dans mon idéal de vie, j’alternerais entre des films à petits budgets et des des films plus mainstream.

    Mais, je suis trop superstitieux pour parler des projets qui vont, logiquement, vite arriver. On pense tellement de fois que l’on va faire des choses géniales et qu’après on est déçus, que je préfère ne pas trop en parler.

    Loïc Smars
    Loïc Smarshttp://www.lesuricate.org
    Fondateur, rédacteur en chef et responsable scènes du Suricate Magazine

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