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    Tocqueville, vers un nouveau monde

    Tocqueville

    scénario et dessin : Kévin Bazot
    éditions : Casterman
    sortie : 11 mai 2016
    genre : franco-belge

    Arrêtez-vous un moment sur la couverture de la bande dessinée Tocqueville, vers un nouveau monde, juste le temps de se plonger dans ses couleurs chaudes et apaisantes, et déjà vous verrez émerger la vie au rythme d’un long fleuve au cours tranquille. N’est-ce pas là un bel aperçu de ce que vous réserve le nouvel opus de Kévin Bazot?

    Tocqueville, vers un nouveau monde s’inspire aussi librement qu’habilement des carnets de voyage du penseur français, Alexis de Tocqueville, rédigés au XIXème siècle et intitulés Quinze jours dans le désert. Tocqueville, du haut de ses vingt-cinq ans, consacra une année entière à voyager en compagnie de son ami Gustave de Beaumont. Ensemble, ceux-ci sillonnèrent les Etats-Unis et le Canada.

    Et voilà que la bande dessinée débute lorsque le voyage des deux compères touche presque à sa fin. Ils ont vu tout ce qu’ils souhaitaient voir à l’exception d’un détail : la nature immaculée et les indigènes qui s’y terrent encore, ce que Tocqueville qualifie lui-même de « désert » dans ses carnets. Ensemble, ils entreprennent donc de s’enfoncer dans les terres jusqu’à dépasser les limites de l’avancée de l’Homme blanc sur le continent américain. Quand on pense qu’il y deux siècles la nature sauvage était déjà dure à dénicher…

    Au cours de leur périple, il leur arrive souvent de rencontrer des indigènes, mais ceux-ci déçoivent leurs attentes, car on est loin de retrouver le bon sauvage, celui du mythe. OK ils ont la peau rouge, mais pour tout ce qui est plumes et tipis, il faudra repasser. Au lieu de ces clichés de western, Alexis et Gustave découvrent des poivrots, à mi chemin entre le clochard et le vagabond, haïs à l’unanimité par les colons occidentaux pourtant responsables de leur décrépitude. C’est le choc des civilisations sans le choc des consciences.

    Bref nos deux compères poussent la balade toujours plus loin jusqu’à, enfin, rencontrer le havre de paix dont ils rêvaient depuis si longtemps. Aux confins d’un grand lac se trouve un embryon de village où colons et peaux-rouges vivent en paix (je n’oserai pas parler d’harmonie), chacun d’un côté d’une rive. Ils se toisent en chiens de faïence et, même si le cancer de la civilisation ne tardera pas à donner une ombre au tableau, les deux voyageurs s’extasient devant leur découverte et se plaisent en promenades guillerettes et bucoliques.

    Au terme de l’ouvrage, nul doute que ce sont les qualités graphiques du bédéaste que nous retiendrons en priorité : ses pinceaux se sont taillés la part du lion ! Pour le reste, les dialogues sont en retrait pour laisser un maximum d’espaces aux pensées du penseur (qui m’en dira tant ?), subtilement introduites en voix off d’un bout à l’autre de la BD. Ce choix scénaristique permet certes au récit de gagner en profondeur, grâce aux réflexions très à propos d’Alexis, mais, revers de la médaille : on y perd quelque peu en dynamisme. Ce qui, bien entendu, ne vous empêchera pas de passer un agréable moment à la lecture de cette belle œuvre !

    Ivan Sculier
    Ivan Sculier
    Journaliste du Suricate Magazine

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