Paysage dans le brouillard
de Théo Angelopoulos
Drame
Avec Tania Paleologou, Michalis Zeke, Stratos Giorgioglou
Sorti au cinéma en 1988 et en DVD en 2003
Le train en direction de l’Allemagne quitte la gare et, en suspens, sur le quai, deux enfants qui vraisemblablement auraient dû être à l’intérieur l’observent s’éloigner. Le long métrage de Theodoros Angelopoulos, Paysage dans le brouillard (1988), retrace un voyage parcouru par Alexandre et Voula dans l’intention de rejoindre un père qu’ils n’ont encore jamais vu. Ce n’est pas tant le voyage qui est mis en avant que le regard à travers lequel le voyage est perçu. Angelopoulos a su se placer avec exactitude à la taille de l’enfance. Poussant notre interprétation sur un plan parallèle à celle que se font les deux enfants, dans le même cadre, à la même échelle. Les réactions adultes peuvent dès lors nous paraître abstraites, la beauté plus pure et naïve.
On ne peut s’empêcher de remarquer, lors de la vision du film, deux caractéristiques que le réalisateur manipule avec génie. Celle du contraste et celle de la suspension. En opposant deux situations sur le même plan, grâce à la perspective, l’intensité de l’une comme de l’autre se trouve accentuée. Une situation banale qui sert de paysage atmosphérique à un drame, une fête de mariage ou un changement de conducteur sur le bord de l’autoroute, et ce dernier se double, de même que le sentiment de solitude qui en émane. Car malgré les différentes rencontres que le voyage engendrera, la solitude, omniprésente, et à la fois poétique, se fait ressentir tout au long du film.
Ce que j’appelle moment de suspension sont ces plans, ici récurrents, où la notion de temps semble suspendue, voir arrêtée. En déconstruisant de cette façon notre perception de la temporalité, Angelopoulos introduit un aspect onirique, où le rêve côtoie la réalité, se dissout en elle. Je pense à une troupe de comédiens espacés le long de la plage. A ce plan tout à fait fantasque, où chaque passant, à l’extérieur, observe inerte les premiers flocons de neige tomber. Il n’y a plus que les deux enfants qui se déplacent, tout ce qui est autour est immuable, comme si leur réalité était différée de celle des autres, à côté. La suspension engendre une nouvelle sorte de dialogue. Le narratif devient contemplatif. Un face à face avec les comédiens, mis en retrait par rapport au déroulement de l’histoire. On ne se confronte plus à une situation qui est en train de se dérouler, mais à une situation en tant que telle. Dont la mise en arrêt peut provoquer une certaine gravité, une sorte de tension, mais avant tout une grande poésie.
Un scénario réduit à l’essentiel, qui ne s’attarde que sur ce qui doit être dit. Ce qui nous conduit en ligne droite à l’étymologie latine de terme enfant, celui qui ne parle pas. Car si ce n’est pour exprimer des besoins primaires, des pensées primaires, les dialogues engagés par Alexandre et Voula se retrouvent assez restreints. Presque fragiles. C’est probablement cette forme de sensibilité, et la façon dont l’image est abordée qui sont l’empreinte de ce chef d’œuvre filmographique. Un long métrage qui ne peut que provoquer une inéluctable curiosité envers les autres films du réalisateur grec.