De et mis en scène par Stéphane Arcas, avec Renaud Cagna, Cécile Chèvre, Ugo Dehaes, Chloé De Grom, Julien Jaillot, Nicolas Luçon, Guylène Olivares, Philippe Sangdor, Candy Saulnier, Claude Schmitz, Arnaud Timmermans
Du 17 mars au 25 mars 2016 à 20h00 au Varia
Au milieu des années 1990, Stéphane Arcas évoque dans une nouvelle ses années d’étudiant aux Beaux-Arts de Toulouse, entre transports artistiques, malaise existentiel autocentré et fureur de vivre. Vingt ans après, il reprend le texte, tressant autour de son expérience personnelle une fiction déjantée : c’est Bleu Bleu.
En 1992, dans un appartement toulousain où ils vivent plus ou moins en communauté, Nico, Manu et Hadès, jeunes artistes hésitant entre la glandouille sur canapé et la réinvention du monde, préparent une exposition. Pour la financer, ils se mettent en tête de revendre de la drogue pour le compte de trafiquants mécènes. A travers la faune qui peuple leur appartement, leurs copines, leurs clients et leurs délires artistiques sous influence, Stéphane Arcas live un récit flottant habité par ses vingt ans toulousains, années de fièvre et de vide, années grunge pour génération perdue.
Bleu Bleu tente la reconstitution bancale d’un temps enfui, temps intime d’une jeunesse tout à la fois exaltée et désenchantée, dans le bain flasque des années 1990. L’histoire, tournant autour d’une préparation d’expo qui ne voit jamais le jour, ne tient pas la distance, mais Bleu Bleu est le contraire d’une histoire d’aboutissement, plutôt un ensemble volontiers décousu de scènes intimes où les protagonistes racontent leurs états d’âme, dressant le portrait d’une époque. Les petites routes du Sud Ouest, le jour où l’on apprend au volant la mort de Kurt Cobain sur France Inter ; les visions inquiétantes de fin du monde, quand le monde autour de soi paraît si normal ; les illuminations artistiques explosant au cœur de la défonce ; l’envie de sexe, de drogue et de fête, et l’attrait morbide du sang, de l’ennui, du rien : c’est ce mélange de créativité débridée, de désespoir et de fuite du gris dans l’imaginaire halluciné des marges qui s’exprime en Bleu Bleu.
Crûe et punk, parsemée d’allusions à l’art contemporain et au parler gascon, la pièce aux accents tantôt rageurs, tantôt pathétiques, oscille entre les flots ondulants de la vitalité désirante et du nihilisme avachi. Souvent drôle, parfois sombre, plutôt sale, Bleu Bleu évite le discours pédant sur l’art comme la réflexion distanciée sur des années 1990 qu’on observerait de loin. Loin des postures malgré son ironie grinçante, Bleu Bleu est avant tout une matière vécue, brute et émotionnelle, nourrie par une langue d’une poésie qui dérive vers l’hermétisme, mais dont le bouillonnement et le caractère très visuel, la plupart du temps, nous accrochent.
On peut regretter le jeu assez inégal des comédiens – si Nicolas Luçon est brillant en jeune branleur désinvolte pénible planant sous la coke, les personnages féminins manquent de consistance. De même, Bleu Bleu aborde de multiples pistes narratives, explorées assez superficiellement : l’étrangeté qu’elles suggèrent, entre réalisme festif un peu glauque et trips glissant vers le fantastique, sont prometteuses et quelque peu frustrantes. Mais Bleu Bleu est aussi une histoire de mémoire trouée, de mauvais ajustements entre le réel et la fiction, de provocations excitantes se diluant dans l’apathie : ne reste qu’une atmosphère en décomposition et des années 1990 qui partent en fumée.