Avec Keeper, Guillaume Senez signe sa première réalisation long-métrage. Un film réussi et maitrisé de bout en bout. Rencontre avec un cinéaste promis à un bel avenir.
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Comment est née l’idée du film ?
Je suis devenu papa et j’avais envie de parler de la paternité. Après mon court-métrage Dans nos veines, aussi écrit avec David Lambert (co-scénariste de Keeper, NDLR), qui était en quelque sorte la genèse de Keeper, j’avais envie de parler de ce thème de la paternité, mais plutôt à partir de l’impuissance de la paternité, et continuer à filmer l’adolescence, ce moment charnière de la vie que je trouve très beau cinématographiquement.
Keeper adopte, de manière plutôt originale, le point de vue du garçon. On ne quitte presque jamais le regard de Maxime, et ce parti pris donne sa cohérence au film…
C’est vrai que la plupart des films sur les grossesses adolescentes sont surtout centrées sur le personnage féminin, à juste titre d’ailleurs, ce sont elles qui ressentent le plus de choses, émotionnellement, physiquement, mentalement. Souvent, le personnage masculin est complètement bâclé, voire inexistant. Or, on vit des choses aussi. J’avais envie de prendre ce contrepied-là.
La relation entre les personnages est très juste, très bien captée. Il en émane un naturel, une complicité et une spontanéité assez rares. Comment avez-vous trouvé ces comédiens ?
J’ai une formidable directrice de casting, Laure Cochener avec qui on a vu 100, 200 ados. Ursula Meier (réalisatrice de l’Enfant d’en haut, sorti en 2011) m’a parlé de Kacey Mottet Klein. Je me souvenais de lui dans L’enfant d’en haut, il avait 13 ans, je le trouvais frêle, or je voulais un sportif, un garçon costaud, charismatique. Mais en effet, au casting, il était très au-dessus des autres. Il fallait aussi trouver un couple. Galatea Bellugi est arrivée avec l’inverse de ce que proposait Kacey, bien dans ses baskets et son corps : une fragilité, une timidité. On dit que les contraires s’attirent et ça a fonctionné.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont vous avez travaillé avec eux ?
J’étais convaincu du casting mais il fallait qu’ils s’entendent : Kacey et Galatea ne viennent pas du même milieu, n’ont pas le même parcours… On les a fait venir un mois avant le tournage, et ils ont habité ensemble. Après, on a fait plein d’activités ensemble, mais ils ont appris à se connaître en étant voisins de palier, en partageant les toilettes et la salle de bains, ça a créé des liens, et ça a bien pris.
Les dialogues, surtout, sont très justes : on n’a jamais l’impression que c’est un adulte qui se souvient de son adolescence à travers ses personnages. Dans quelle mesure avez-vous laissé de la place à l’improvisation ?
Le texte est très écrit mais les deux comédiens n’ont pas reçu le scénario ni les dialogues, simplement un résumé. Ils connaissaient cependant bien l’histoire, les personnages et leurs relations. Au moment du tournage on faisait une première impro, on en discutait et moi tranquillement, tout doucement, avec eux, je les amenais au texte. Mais c’était un échange, ils arrivaient avec leurs mots, leur façon de bouger, ils avaient énormément de liberté. Ce n’est pas vraiment de l’impro, pas vraiment le texte, c’est une vérité qui se situe quelque part entre les deux. Cette manière collective de travailler, où tout le monde est impliqué, me plaît.
Le thème de la grossesse adolescente est très rebattu. Vous avez évité le coté misérabiliste, mais le contexte n’est pas non plus écarté : vous ne montrez pas un monde enchanté ni dégagé du social. Comment as-tu trouvé cet équilibre ?
On savait que c’était assez risqué et qu’on pouvait facilement tomber dans l’écueil du film social, larmoyant, ou dans une espèce de revendication malsaine, dans un film pro ou contre avortement… Très vite nous avons eu l’idée de ne rien revendiquer, de ne pas délivrer de message ou de jugement et de montrer les choses comme elles existaient. Comme cinéaste, je tends vers une certaine émotion, et j’essaie de faire en sorte qu’elle soit la plus juste et la plus honnête possible. Pour cela il faut qu’on puisse être en empathie avec les personnages, avec leurs points de vue parfois très opposés, pour que chacun avec sa sensibilité puisse se projeter dans l’histoire de ces deux adolescents. C’est ce qui est bien avec le cinéma : on peut se déchirer sur les personnages, les aimer ou les détester. Après, c’est à chacun de trouver son chemin dans cette narration-là. Je suis là pour créer une émotion et si ça peut susciter une réflexion, un débat, tant mieux.
C’est pour ça que tu as pris un milieu de classe moyenne, pas très précisément déterminé…
Oui, pour qu’on puisse se projeter. Quand je vois des films sociaux, j’ai du mal à être en empathie. A contrario, des films hyper bourgeois où on rêve d’avoir les problèmes des personnages, c’est de la science-fiction pour moi. Donc j’essaie de filmer les choses que je connais – je viens d’un milieu plutôt basse middle-class – pour toucher un maximum de gens.
Quel rapport le film entretient avec le réalisme ?
On s’est beaucoup documenté, on est allé dans les maisons maternelles, les refuges, les plannings familiaux…En tant que cinéphile j’ai besoin d’y croire, d’être ancré dans le réel pour être ému par ce qu’on me montre. Et comme cinéaste j’ai besoin de ce naturalisme pour amener l’émotion.
Au-delà de la question de la grossesse qui n’est peut-être pas le centre du film, j’ai plutôt vu ce film comme un film sur la fin possible de l’insouciance. Un peu comme un récit d’initiation manqué, sur quelque chose qui ne s’accomplit pas.
Oui, c’est très juste. C’est un film qui parle de l’envie : Maxime a envie d’être footballeur, il a envie de garder l’enfant, mais ce n’est pas si simple…Quand on est ado on a du mal à prendre du recul sur les choses, on fonce un peu tête baissée, parce qu’on a envie. C’est quelque chose que je trouve très beau.
Le rythme du film est très vif, parfois heurté. Il y a cependant quelques moments où les deux personnages sont seuls et silencieux, et où la caméra prend le temps de les regarder longuement. On y voit une sorte de pudeur, de respect vis-à-vis des personnages.
Tout à fait. J’aime aussi beaucoup ces moments-là qui permettent aussi au spectateur de respirer,de ressentir les choses. C’est aussi la musique qui amène et permet ces moments d’évasion et de recul.. C’est là qu’on se rend compte qu’on est dans du cinéma et pas seulement dans le côté documentaire, réaliste. Le cinéma apporte une émotion et prend le temps d’y arriver.
Propos recueillis par Emilie Garcia Guillen