Keeper
de Guillaume Senez
Drame
Avec Kacey Mottet Klein, Galatéa Bellugi, Catherine Salée
Sorti le 9 mars 2016
Maxime et Mélanie ont quinze ans et s’aiment de toute leur jeunesse, maladroite, touchante, pudique. Lorsque Mélanie tombe enceinte, Maxime, d’abord troublé, la pousse à garder l’enfant, et Mélanie, plus sceptique, se range à son avis. Keeper suit cette grossesse adolescente en adoptant, de manière plutôt originale, le point de vue du jeune homme.
L’atout majeur du film, c’est sa très grande justesse : Guillaume Senez respecte profondément ses deux jeunes personnages. Jamais ils ne deviennent des clichés d’adolescents en butte à une situation dont les talk-show font leurs choux gras, jamais il ne les met au service d’une démonstration simpliste. Sans condescendance, sans mièvrerie, sans romantisme nostalgique mythifiant la jeunesse, il montre leur brutalité et leur pudeur, leurs mots qui coulent mal, leur orgueil et leur mauvaise foi, leur douceur et leur égoïsme. Il capte, surtout, leurs envies : celles d’avoir un corps à soi, une vie à soi, un fantasme à soi qui prend la forme un peu folle de ce bébé que Max et Mélanie décident de garder sans trop réfléchir, parce qu’il s’accorde avec les rêves de carrière de footballeur de Max, parce que Mélanie aime ce garçon fanfaron et tendre, parce qu’ils sont immatures, mais qu’ils ont appris à écouter leurs désirs, à leur donner du pouvoir.
Keeper n’a pas d’ambition documentaire et la grossesse adolescente n’est pas ici le symptôme d’un contexte social que le cinéaste chercherait à documenter. Le film est tenu du début à la fin par le regard du cinéaste qui s’accroche à Maxime dans tous ses états et nous le rend terriblement attachant : dans ses moments de lâcheté et de colère, dans ses élans de générosité et ses prises de conscience, dans sa brutalité et ses accès de courage. Max et Mélanie, ni héros fougueux, ni cas sociaux, sont unis par une complicité que Guillaume Senez capte avec brio : construite sur un mélange de petits rituels de gosses et d’affection batailleuse, leur relation atteint un naturel, une sincérité et une spontanéité fort rares. C’est donc par ces deux personnages, et avant tout via le parcours de Max, que se dévoile le projet du film : saisir le moment où la grâce de la jeunesse, sa vivacité insouciante, bascule vers le temps long du monde adulte, où le privilège de l’éphémère dont jouit l’adolescence est sur le point de s’évanouir, de se fixer dans un projet définitif, une ligne droite. Cette hésitation sur le seuil du monde adulte, cet abandon douloureux de la légèreté, Guillaume Senez la filme avec délicatesse et empathie, dans de très belles scènes de solitude tranchant avec le rythme vif et soutenu du film, qui comptent parmi les plus émouvantes du film.
Sans être un film social, Keeper s’inscrit dans une veine très réaliste et ne fait pas abstraction du contexte, qui apparaît surtout à travers l’entourage familial de Max et Mélanie. Sans angélisme, parfois avec violence, Guillaume Senez montre avec plus de subtilité qu’il y paraît la relation complexe que nouent les parents, interprétés là encore par de très bons acteurs, avec le choix déconcertant de leurs enfants.
Keeper n’est certes pas d’une très grande originalité formelle ou narrative, mais le regard que pose Guillaume Senez sur cette confrontation soudaine des désirs d’un adolescent aux contraintes de la réalité est captivant du début à la fin. Plutôt que de faire un récit initiatique sur le passage réussi de l’enfance à l’âge adulte, Keeper tente le pari risqué d’accompagner au contraire le cheminement tâtonnant de Max : Guillaume Senez filme une envie qui tourne sur elle-même et peine à déboucher sur autre chose, une rencontre avortée avec le temps du sérieux et des responsabilités, la beauté vibrante et fragile d’une cause perdue. Quand le cinéma affectionne les destins nets, les itinéraires éclatants et les accomplissements, Keeper choisit au contraire de nous transmettre les désirs, les désillusions et les espoirs de Max, héros de l’attente, du presque, de l’entre-deux : c’est là toute l’audace, toute la générosité et toute la force de ce premier long-métrage.