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    Interview d’Arthur De Pins pour la sortie de Zombillénium

     

    Arthur De Pins, quel est votre parcours ? Comment en êtes-vous arrivé à la bande dessinée ?

    Je faisais de la BD quand j’étais ado. Ensuite j’ai fait mes études aux Arts Déco, une école un peu généraliste où il y avait toutes les matières, sauf la BD. Les profs y étaient un peu anti-BD, dans la mesure où ils disaient que cela formatait beaucoup les styles. Je ne suis pas tout à fait en désaccord avec eux. Il se trouve que j’ai délaissé la BD pendant tout ce temps là pour me consacrer à l’animation. Je suis parti de cette école en sachant faire du dessin-animé et c’est ce que j’ai fait dans un premier temps. J’ai réalisé que ce n’était pas évident de faire ses propres histoires : soit on travaillait sur une grosse production pour quelqu’un d’autre, soit on pouvait faire des courts-métrages d’animation mais ça prend un temps fou, en fait, à développer (trouver les financements, etc.). Je me suis alors finalement orienté vers l’illustration et la BD, car c’était le moyen le plus simple pour concrétiser mes idées.

    Je vous avais découvert avec, justement, votre travail d’animation sur La Révolution des crabes. Il y a eu pas mal de projets tout autour (long-métrage, suites, BD, etc.), y a-t-il encore d’autres projets autour de ce concept ?

    Oui, même si, pour le moment, c’est en stand-by. J’avais pour projet de faire des suites au court-métrage, ensuite un projet de long qui, finalement, n’a pas trouvé les financements nécessaires et, finalement, j’en ai fait une BD. Cela ne veut pas dire que le projet de long est enterré, mais, je suis déjà très content d’avoir pu raconter mon historie en BD.

    La trilogie est, maintenant pour moi, bouclée. Mais, j’ai, tout de même, le projet d’un livre conceptuel et interactif, où l’on a la possibilité de voir l’histoire de plusieurs manières, en le retournant, avec des surprises cachées, etc. Ce serait le même univers, mais plus un livre pour enfants qu’une BD.

    Vous avez commencé en BD avec Péchés Mignons, orienté plutôt vers l’érotisme et, maintenant, vous développez des concepts plus large public. Est-ce arrivé par opportunités ou d’une volonté de changer régulièrement de thématiques ?

    A la base, l’univers de Zombillénium est un univers qui m’est plus familier, qui ressemblait aux BD que je faisais ado, qui étaient plutôt fantastiques, avec des monstres, etc. Dans les années 90, il n’y avait pas beaucoup de fantastique en cinéma ou en littérature, et moi, mon but à l’époque était d’écrire des histoires fantastiques, mais avec un pont vers le quotidien, la vie de tous les jours, comme si je voulais un peu intéresser mon entourage qui s’en fichait éperdument. Je voulais les intéresser à l’univers fantastique ou, à l’époque, plutôt heroic-fantasy.

    C’était, à la base, mon souhait numéro 1, et c’est plutôt Péchés Mignons qui est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Je faisais des dessins érotiques, des petites nanas, etc. Puis, le rédacteur en chef du magazine où je les publiais, m’a demandé d’en faire une BD mensuelle, ensuite le Tome 1, qui a été édité chez Fluide Glacial, et après, le 2, le 3 et le 4. Donc voilà, j’ai adoré faire ça, mais c’était vraiment une opportunité. En tout cas, je suis très content, car cela m’a permis de mettre un pied dans la BD.

    Il n’y a plus d’avenir pour Péchés Mignons ?

    Je n’ai pas fermé totalement la porte et en ferait peut-être un dernier. Et si j’en refais un, il faudrait que j’ai vraiment une inspiration particulière, car je ne veux pas en faire un dernier juste pour encore en faire un. Je n’ai pas, pour le moment, d’inspiration particulière, et avec tous mes projets actuels, je ne suis pas vraiment dedans.

    Ce qui peut déranger dans votre travail, c’est le dessin créé par Illustrator. Pourquoi choisir cette méthode de travail ? Et que dire à ceux qui vous reprochent de ne pas utiliser des techniques plus traditionnelles ?

    Pour l’instant, personne ne me l’a jamais vraiment dit. (rires)

    Maintenant c’est vrai qu’il y en a qui ont du mal à s’y faire. Personnellement je n’ai jamais beaucoup aimé dessiner avec un trait, avec de l’encre de chine, même avant de connaître Illustrator. S’il n’y avait pas eu Illustrator, j’aurais probablement dessiné le tout à l’aquarelle. J’ai toujours eu du mal à me conformer à l’encre de chine, au trait noir (ce qui est en vigueur en BD). Mes influences, en terme de BD, vont plus vers les illustrateurs comme Kiraz, Labanda ou Monsieur Z, qui ne font pas de traits autour des personnages. J’avais envie d’emmener ce style vers la BD.

    Peut-être que les gens pensent qu’avec Illustrator, on peut devenir plus fainéant, en réutilisant des décors tout faits, que ça s’apparente plus à du graphisme, contrairement au dessin sur papier où l’on doit peut-être tout créer ?

    Tout d’abord, moi je décide à la main, pas avec mes pieds (rires). Mais c’est vrai qu’avec Illustrator, il y a la tentation de faire des banques d’images. Moi personnellement je ne le fais pas. Tout d’abord, parce que j’avais essayé sur Péchés Mignons et j’ai remarqué que je passais plus de temps à réadapter l’image, que ça ne sert à rien et en plus, ça appauvrit le dessin qui n’évolue plus. D’ailleurs, je varie aussi les angles et ça me force à faire bouger les personnages.

    Ce qui est aussi intéressant, c’est que beaucoup sont intrigués par cette technique. Certains pensent que c’est fait en 3D. C’est pour cela qu’en festival, quand j’en ai l’occasion, je multiplie les démonstrations, pour montrer cette technique. C’est marrant, car j’en ai fait à Angoulême et dans pas mal d’autres festivals, et il y a très peu de collègues qui viennent. Ils peuvent me dire que mon style est bizarre, mais moi, je leur dis : « Venez ! »

    Je dessine et mets un an à faire un album comme eux. On sent, de la part de mes collègues, une curiosité, mais aussi une réticence. Mais j’ai arrêté de me poser des questions ; le monde la BD est un peu traditionaliste, il y a une certaine méfiance par rapport aux nouveautés. C’est un peu comme la musique, qui pendant des années se conformait à : vous faites un groupe de rock, vous devez avoir guitare, basse, batterie, chant. Et, quand l’électro est apparue ,les gens se sont dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc, avec un ordinateur ? », etc.

    Ce mois-ci est sorti le troisième tome de Zombillénium : le concept du parc monstrueux vient-il de votre amour des monstres ou l’idée est-elle venue de quelqu’un d’autre ?

    A la base, je faisais déjà des BD avec des monstres quand j’étais ado, dont une avec un squelette, une momie, un vampire, etc. mais dans un univers médiéval. Mais, parfois, on a besoin d’une petite étincelle, d’un petit coup de pouce qui nous refait prendre goût aux choses que l’on avait abandonnées. C’est arrivé avec Spirou. Je connaissais déjà Frédéric Niffle (rédacteur en Chef de Spirou, ndlr) et il m’a commandé une couverture d’un Spécial Halloween de Spirou. Je lui ai fait une couverture où l’on voit une galerie de monstres et, en voyant que ça me plaisait beaucoup, il m’a demandé si je voulais faire une série avec les monstres de la couverture. C’était le formidable point de départ d’une histoire dans laquelle je voulais créer une inversion : les monstres sont les gentils et les humains, les méchants. Pour le Parc d’attraction, c’est venu d’une réflexion, peut-être un peu débile, sur « si les monstres était parmi nous, est-ce qu’ils payeraient des impôts ? ». La réponse était oui, car tout le monde paye ses impôts ! (rires) Ensuite, je me suis demandé quels genres de travail ils pourraient faire et dans quels emplois ils seraient à visage découvert. J’avais donc les monstres, la thématique du parc, la vie en entreprise, etc. Au début, j’étais plutôt parti sur de petites chroniques au sujet de la vie de bureau. Mais très vite, l’envie d’en faire plus a pris le dessus, car je savais déjà que j’allais faire plusieurs albums. Avec surtout de l’aventure, du drame et des petites touches d’humour par-ci, par-là.

    Justement, je trouve que, dans les deux premiers (tomes?), il y a beaucoup plus d’humour et que ça devient au fur et à mesure, de plus en plus noir. Est-ce que cela va continuer sur cette lancée ?

    Oui. Ce qui arrive à ces personnages n’est pas forcément marrant ; même dans le tome 2, on voit un bébé dans une poubelle, une mère qui frappe son enfant, etc.

    Mais ça n’arrive pas aux héros !

    Oui, effectivement, pour les héros, ça commence à chauffer, car, dans le tome 3, ils perdent tous à un moment donné le contrôle : Francis n’arrive plus à gérer son entreprise ; Aurélien fait un burn-out ; Gretchen craque et lui avoue pourquoi il est là, etc. Les personnages commencent à se faire bouffer par un système qui, jusqu’ici, marchait bien et, c’est pour cela qu’à partir du tome 3 et jusqu’au tome 6, on rentre vraiment dans le vif du sujet ; c’est à partir de maintenant que tout va s’enchaîner, pour aboutir à la conclusion.

    Donc, il y en aura 6 ! Et si ça fonctionne, vous continuez ?

    Il y en a au moins 6 qui s’appelleront Zombillénium. Après, c’est sûr que j’aurais envie de faire quelque chose avec les personnages dans un spin off, un deuxième cycle.

    Vous avez choisi le Nord de la France pour y installer le parc. Est-ce que c’est par rapport au contexte socio-économique difficile ? Parce que vous venez du Nord ?

    Alors, je ne viens pas du Nord, mais, par contre, je connais un peu, car j’avais une copine qui venait de la région de Valenciennes. Mais effectivement, la première raison est le contexte socio-économique qui se prête bien aux drames sociaux. J’aurais eu moins d’intérêt à le situer en Corse, par exemple. L’autre raison, c’est pour le fait que ce soit plat. Ça aurait pu être en Belgique, d’ailleurs ! Les gens me parlent d’ailleurs de Charleroi, mais je leur laisse la paternité de cette réflexion. (rires) C’est le côté plat et le climat qui renforce la silhouette du parc. Ça lui donne un côté inquiétant et aussi un côté « mirage », fantomatique. A se demander s’il existe vraiment.

    Y a-t-il aussi la volonté d’inscrire l’histoire dans le réel en la situant géographiquement ?

    Bien sûr, c’était d’ailleurs hyper important de situer l’histoire dans un endroit précis, pour je puisse mélanger le réel et l’imaginaire.

    Quand je faisais mes repérages sur Google Earth, dans le Nord, j’ai pris un endroit avec beaucoup de champs où il n’y avait pas beaucoup de villes, pas loin de Douchy-les-mines. Mais là où je me suis un peu planté, c’est qu’en allant y faire des repérages photos, j’ai remarqué qu’en fait, ce n’était pas si plat que ça. Je suis même allé à l’endroit précis de Zombillénium et c’est un petit peu vallonné. C’est tout de même un Nord un peu fantasmé, un Nord tel que l’on se l’imagine.

    Pour en revenir à l’histoire même, j’ai l’impression que les monstres ayant une place importantes sont les zombies ; est-ce un monstre qui vous plaît particulièrement ou c’est par la force des choses qu’il est fort présent ?

    En fait, j’avais imaginé plusieurs catégories de monstres, et pour les implanter dans l’entreprise, j’ai imaginé que chaque catégorie correspondait à une catégorie professionnelle. C’est-à-dire les ouvriers étaient les zombies ; ensuite, les cadres sont plutôt des loups-garous ; les dirigeants sont des vampires et le PDG, le diable. Les zombies étant la main-d’œuvre, les emplois précaires, ils sont donc plus nombreux. Seuls, ils ont moins de pouvoir, mais leur force est d’être tous ensemble. Même si, suite à la fin tragique du tome 3, le rapport de force revient aux cadres.

    Pourquoi y a-t-il dans le comité d’administration des humains ?

    Parce qu’il y a des actionnaires : Zombillénium a ouvert son capital aux humains et donc c’est à la fois le diable qui possède les âmes et les humains qui possèdent les infrastructures. Les humains se comportent finalement comme des monstres. On réalise qu’ayant un pouvoir dans le parc, ils pourraient avoir des décisions plus humaines que le diable, mais, finalement, ils sont encore pires : ils veulent juste que le parc fonctionne et ramène de l’argent. Tout ça, dans le but de se poser la question : « mais qui sont les vrais monstres ? »

    En revenant sur la fin tragique du 3, et le personnage de la momie, est-ce que le premier tome avait été écrit avant d’imaginer des suites ? Car le running gag où elle veut partir dans le sud n’est pas exploité par la suite.

    J’ai trouvé ce dont je voulais parler en finissant le premier tiers du 1er tome. Les cinq ou six premières planches sont parues dans Spirou sans que je sache vraiment où je voulais aller. La première scène est importante pour planter le décor, mais, au niveau du récit, elle ne révèle rien de ce qu’il va se passer. C’était un peu un galop d’essai, car la seule expérience de BD que j’avais, c’était Péchés Mignons. Pour la première fois, je pouvais enfin faire une BD avec des longues cases. J’en ai profité pour essayer des cadres plutôt cinématographiques, où on voit tout la ligne d’horizon, puis un gros plan sur la main, ensuite une vue d’en haut, etc.

    On pense au début que le héros sera Aton, puis Aurélien et on se rend vite compte que Gretchen prend une place très importante, qu’elle est le centre de beaucoup de sous-intrigues,…

    Elle est un peu passée au second plan dans le tome 2 car il se centre un peu plus sur Francis et Sirius. Mais on la retrouve avec Aurélien dans le tome 3 et l’on comprend pourquoi ils sont là.

    C’est bien de faire mystères, mais, à un moment, il faut aussi commencer à révéler des trucs. Je suis fan de Lost, où on cultive les mystères sans pour autant donner toutes les réponses, mais cette lacune m’a poussé à me dire que, chez moi, tout devait être carré, que rien ne devait être laissé au hasard.

    Combien de temps faut-il pour concevoir un tome de la série ?

    Pour le premier, il m’a fallu 9 mois ; 11 pour le deuxième et le troisième. Ce dernier m’a demandé pas mal de boulot, car tout se passe au sein du parc. Les scènes se passant dans la campagne ou dans une voiture, sont moins galères à dessiner. Il y a ici pas mal de cases où il faut à chaque fois créer des bâtiments, des attractions. Pour la page 10, j’ai dû créer, pour la moindre case, un décor du parc d’attraction et une foule. Je pense aussi à toute la scène dans le roller coaster, qui va de la page 19 à la page 25 (Aurélien devient fou et est prêt à tuer tous les passagers d’un wagon, ndlr). La difficulté, ce sont les 16 passagers du wagon. J’ai trouvé des têtes, un peu au hasard, sur internet, et puis, je me suis imprimé une feuille avec les 16 têtes pour être sûr, à chaque fois, de les redessiner correctement. Il y a un côté un peu comédie à ce moment-là. Je voulais que les passagers ne soient pas seulement des victimes, mais prennent aussi part à l’action. Il y a une espèce de mini-théâtre au sein de ce roller coaster où ils commencent tous à discuter, s’engueuler, etc. Ce qui fait qu’Aurélien garde finalement son côté humain et décide de ne pas les tuer.

    Un peu comme dans un film qui se passe dans un lieu clos, n’y a-t-il pas des difficultés de garder toujours en tête la géographie du lieu ? Que l’auteur sache où il en est, mais aussi fasse attention à ce que le lecteur ne se perde pas.

    Je n’ai jamais fait de carte de Zombillénium, malgré quelques repères, comme les trois tours ou les attractions récurrentes. A la page 43, on peut voir que le parc a une forme de pentacle, qu’il a des allées, etc. Mais je n’ai jamais fait de carte détaillée, car j’ai envie d’avoir la liberté de faire ce que je veux comme décor, que le parc soit un peu comme un mirage. Même s’il est situé géographiquement ; à l’intérieur, c’est comme s’il était dix fois plus grand et qu’il puisse continuer jusqu’à l’infini.

    Est-ce que le quatrième tome est déjà planifié ?

    Non, pas encore, car je vais justement commencer à travailler sur le film. Le développement est fini et je travaille depuis deux mois sur le pilote. Ce sera un clip pour un groupe qui s’appelle Skip the use, pour leur prochain album. On les avait contacté pour qu’ils fassent la BO du futur film, on s’est bien entendus, et, pour les 4 minutes destinées à vendre le projet du film, on a créé un clip pour leur prochain album. Ce sera dans le style de la BD, mais en mettant aussi en scène le chanteur et le guitariste dans un road movie dans le Nord de la France où ils croiseront des monstres.

    Malgré un agenda déjà bien chargé, y a-t-il d’autres projets dont vous voudriez nous parler ?

    En BD, je continue Zombillénium et, à part le livre sur les crabes chez Soleil, je n’ai pas encore trop de projets. Il va tout de même y avoir l’intégrale de La Révolution des crabes qui va sortir, l’intégrale de Péchés Mignons aussi. D’ailleurs, quand on réédite l’intégrale, ça veut souvent dire que c’est fini. (sortie prévue cette fin d’année)

    Là, je suis totalement à fond sur l’adaptation film de Zombillénium.

    Site web : http://www.arthurdepins.com/
    Facebook :http://www.facebook/ArthurDePins

     

    Loïc Smars
    Loïc Smarshttp://www.lesuricate.org
    Fondateur, rédacteur en chef et responsable scènes du Suricate Magazine

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