scénario & dessin : Alessandro Pignocchi
édition : Steinkis
sortie : 13 janvier 2016
genre : Franco-belge
John et Alan Lomax ont sillonné les Etats-Unis et ses plantations déterrer les racines du blues, Max Roth et Willy Norton ont parcouru l’Albanie pour remonter à la source d’épopées orales vieilles comme l’Iliade, Alessandro Pignocchi, quant à lui, s’est enfoncé au plus profond de la forêt amazonienne pour y rencontrer les tribus traditionnelles et percer le mystère de leurs anents. C’est donc dans ce décor plein d’immensité luxuriante que notre auteur place son récit, dont il incarne lui-même le pion central, étant donné qu’il s’agit du récit de ses voyages successifs en Amazonie. Ainsi, Anent relève du genre de la chronique dessinée plutôt que de la fiction, à la manière des chroniques bien connues de Guy Delisle – quoique le ton soit tout autre.
En effet, là où Delisle glisse de l’humour et de la simplicité, Pignocchi préfère l’ethnologie et une touche de poésie. Esthétiquement aussi, les deux auteurs divergent. Alors que le premier utilise un style caricatural où prime l’efficacité de la narration, Pignocchi réalise de magnifiques fresques à l’aquarelle, travaillées jusque dans les moindre détails. La minutie du savant naturaliste, ayant passé de nombreuses heures à observer et dessiner la nature – avec un gout tout particulier pour le dessin des oiseaux – se révèle sous les pinceaux de l’auteur. Pourtant, comme nous le disions, avant d’observer la nature à proprement parler, Pignocchi s’était rendu sur place pour apprendre à connaître les habitants de la forêt et découvrir leurs chants incantatoires.
Les Jivaros Shuar et Achuar vivent au cœur de la forêt amazonienne, quelque part entre l’Equateur et le Pérou. Pignocchi s’est rendu dans leurs communautés à plusieurs reprises, dans sa jeunesse d’abord, et plus tard dans le cadre de son travail de chercheur. En début d’ouvrage, il relate quelques souvenirs de son premier voyage en Amérique du Sud, sur un ton plus détaché, mais l’essentiel du propos est, bien entendu, consacré à la mission de plusieurs années qu’il passa parmi les autochtones. Vivre au coeur de ces tribus sans contact avec la civilisation hispano-américaine (ou presque) permit à Pignocchi de s’imprégner des us et coutumes des indigènes, de découvrir leurs croyances, leurs rituels, leur sociabilité, leur gastronomie… Quelques extraits vous feront irrésistiblement penser au Hakuna Matata de Timon et Pumbaa, ou à L’Herbe du Diable de Castaneda !
Plein de sagesse, de délicatesse et même parsemé de quelques touches humoristiques bien senties, cet ouvrage est un régal spécialement conçu pour tous les aventuriers en herbe ou en bois, pour tous les explorateurs en puissance ou en instance, pour tous les amoureux de la nature et de l’Amérique du Sud, tous les écolos et leurs compères altermondialistes, mais aussi pour tous les ethnologues avertis, tous les anthropologues avérés, tous les voyageurs introvertis, tous les curieux extravertis, tous les globe-trotteurs invétérés (ainsi que les invertébrés) et enfin, pour tous les grands rêveurs !