auteur : Jill Alexander Essbaum
édition : Albin Michel
sortie : janvier 2016
genre : roman
Cela a le titre d’un roman de gare. Cela a la couverture d’un roman de gare. Mais ce n’est pas un roman de gare. C’est de la littérature.
Anna est américaine et a 37 ans. Anna vit dans une riche banlieue de Zurich avec son mari, un banquier, et leurs trois enfants. Anna est la plupart du temps une bonne épouse, mais elle ne va pas très bien. Alors elle commence une thérapie. Des cours d’allemand. Des aventures. Anna a une solitude sans nom.
Poétesse et professeure, Jill Alexander Essbaum signe ici son premier roman et une œuvre magistrale. À travers Anna, elle nous offre un personnage féminin complexe et plein de contradictions. Car Anna joue au pompier-pyromane : rongée par une solitude et un malaise existentiels profonds, elle se saborde comme seul un être humain peut le faire. Essbaum réussit à nous raconter cela sans entamer notre patience, si prompte à être agacée par le bon sens commun. Cette Anna, nous la jugeons autant que nous l’aimons, comme elle-même se dupe et se débusque à cette vie rangée dans cette Suisse aussi détestée qu’aimée. Nous sommes aussi proches d’elle qu’elle se tient à distance.
Le pitch de Femme au foyer est simple, mais sublimé par un véritable travail d’écriture. Essbaum orchestre la temporalité de son récit avec dextérité. Passé et présent alternent sans distinction nette. La temporalité devient vivante, dialectique, elle prend la forme d’une spirale qui avance mais repasse toujours par les mêmes endroits tout anticipant les conséquences des actes et des choix posés. Les événements sont entrecoupés par les séances d’Anna chez le Dr Messerli, sa psychanalyste jungienne qui lui répond avec les mots bien appris de concepts pourtant justes. Dans cette alternance fluide, chaque passage répond à un autre et dévoile des aspects d’Anna qui se répondent l’un à l’autre.
Cela, au même titre que les scènes de sexe parfois franches et crues. Des critiques auront – ont eu (soupir) – le culot de rapprocher cela de Fifty Shades of Grey, comme si la littérature n’avait découvert la sexualité (bon marché) qu’en 2011. Comparaison douteuse s’il en est, car le sexe participe ici à l’économie du récit et révèle chez Anna un vide intérieur aussi puissant qu’inextinguible.
Sans qu’on le voit venir, Hausfrau fascine, captive, happe. En tournant la dernière page, on se souvient qu’il y a eu Emma Bovary et Anna Karénine. Et on se dit que désormais, il y a Anna Benz.