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    Cinema Hermetica de Pacôme Thiellement

    cinema hermetica

    auteur : Pacôme Thiellement
    édition : Super 8
    sortie : janvier 2016
    genre : cinéma

    L’essayiste psychédélique et réalisateur polymorphe Pacôme Thiellement nous revient en ce début 2016 (l’année de la joie en miroir parait-il) avec l’étrange Cinema Hermetica. Une vertigineuse histoire tendance hermétiste et contre-initiatique du cinéma. Cela ne vous dit rien ? Rassurez-vous, il est ici question de ressentis lumineux et de désirs obscurs. De Nosferatu à Nymphomaniac, retour par l’oblique sur une file de films cultes.

    Parler d’un labyrinthe en commençant par le début n’a aucun sens, or le Cinema Hermetica de Thiellement en est un, voire même plusieurs fondus ensembles. L’auteur propose d’entrer dans sa vision en nous embarquant dans une curieuse tradition. Celle des hermétistes, de ceux qui ont toujours vécu entre les lignes de la grande Histoire, des hommes qui n’ont pas tout à fait renoncé à l’âge d’or.

    Ce courant dissident, aurait trouvé comme dernier temple-refuge, les salles obscures de nos villes et comme ultime rituel, la projection. Il s’agit donc d’une invitation à considérer autrement le fait-même de voir un film. Saisie dans sa dimension sacrée, la position du spectateur est arrachée à la banalité obligatoire que lui confère la société du spectacle et devient l’occasion d’une nouvelle initiation radicalement contraire à l’esprit majoritairement professé par notre époque.

    « Hollywood n’existe que par l’épuisement de toute énergie des spectateurs et des ratés, qui sont la chair à canon de son projet mortifère »

    Nourrit de références allant des mystiques égyptiens à Buffy contre les vampires, le texte raconte ainsi une même histoire, celle de cette contre-initiation, et noue ensemble l’interprétation de 14 films cultes. Nosferatu (celui de Murnau et celui d’Herzog), Freaks, Suspiria, Chinatown, Monsieur Arkadin, Shining

    De la fraternité dans la monstruosité présentée dans Freaks à l’égocentrisme érigé en dogme creux et mutilant de Monsieur Arkadin une trame se dessine qui réunit l’histoire du monde, du cinéma et de l’âme humaine. Chacun des 14 films est ainsi un talisman permettant de ressaisir cette histoire non pas en dates et en périodes, mais en phases et en cycles à la manière d’un chant infiniment répété, infiniment modulé.

    « Le cinéma a été la terre promise du fantastique. Parce que le cinéma se jouait dans l’obscurité, parce qu’il permettait la mise en état d’une hypnose relative entraînant à imaginer le mouvement à partir d’une succession d’image fixes, et parce qu’il était l’expression d’un monde que l’on ne pouvait voir jusque-là qu’avec les yeux de l’âme (…). « 

    De par sa démarche même, l’ouvrage s’expose à une critique évidente : « On comprend rien, c’est du charabia-subjectivo-mystique pour semi-dément acharné a trouver du sens partout et surtout là où il n’y en a pas ». Certes, les références sont souvent pointues, le langage est plutôt ardu et certains liens relativement ténus, mais on peut sentir sans peine l’honnêteté de l’auteur et son désir de partager une expérience authentiquement vécue.

    C’est d’ailleurs une habitude à prendre avec Pacôme Thiellement. Si le style déroute comme à l’écoute d’un morceau de Zappa, le sens est bel et bien présent, quelque part dans la brume le sol attend vos semelles : sautez donc le pas.

    Enfin, si Thiellement à tendance à parler à la marge, depuis la marge, son propos n’en reste pas moins fédérateur. À l’en croire, on nous fabrique massivement comme des êtres perdus dans le monde de la dissociation, de l’individualisation factice par distinctions successives. Toutefois, il nous est encore (parfois) possible, pour le prix d’une place de cinéma, de retrouver la trace de l’âge d’or. Celui où tout homme avait/était tout, où faire un n’impliquait aucun renoncement… Cette perspective d’une jouissance libératrice vaut à elle seule le détour et donne son sens le plus noble au frisson électrique qui nous parcoure aux plus belles heures des salles obscures.

    Alexis Hotton
    Alexis Hotton
    Journaliste du Suricate Magazine

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