auteur : Sylvain Tesson
lu par : Franck Desmedt
édition : Audiolib
sortie : juillet 2015
genre : récit de voyage
Après une année 2014 ayant manqué de lui être fatale*, Sylvain Tesson revient sur le devant de la scène littéraire avec Bérézina. Le globetrotteur-écrivain y convie le lecteur à un voyage géographique et temporel : à 200 ans d’écart, en plein hiver, il place les roues de son side-car dans les pas de l’armée napoléonienne qui, en 1812, de Moscou à Paris, connut une des plus grandes débâcles militaires du XIXe siècle. La version audio du récit est assurée par le comédien Franck Desmedt, « un aventurier des mots », une description qui ne doit pas déplaire à Tesson.
Bérézina entremêle trois temporalités : le road-trip de 2012 de Sylvain Tesson et de ses quatre amis, en hommage à la Grande Armée ; la désintégration de cette dernière en 1812 après un court séjour dans une Moscou abandonnée par les Russes ; et des réflexions sur des événements importants du XXème et XXIe siècle. Au centre de tout cela, le point de vue de l’auteur domine : Tesson est l’axe central du récit, n’en déplaise à ceux qui auraient souhaité un récit historique objectif (si tant est que cela soit possible).
Qu’à cela ne tienne, Tesson a le sens de la formule, mais au risque parfois d’en devenir sentencieux et de favoriser les phrases-prêtes-à-citer. Paradoxalement, ou logiquement, il possède les qualités de ses défauts, car ces éléments constituent sa « patte ». Tout comme ses descriptions et ses portraits, teintés d’essentialisme, tant ils entérinent « l’âme slave », le « caractère latin » ou « notre époque contemporaine ». Cela a un charme certain, mais également certaines limites. Aussi grand voyageur que passionné lecteur, l’auteur de « Dans les bois de Sibérie » (2011) mobilise les références culturelles, surtout littéraires : Cendrars, Mme de Staël, Kundera, Charles Péguy, etc. L’intertextualité est au cœur de son écriture. À la lecture de cet Audiolib, Franck Desmedt, comédien formé au Conservatoire de Bordeaux. Sa voix énergique porte merveilleusement l’esprit et le style de Sylvain Tesson, un mélange de simplicité et de langage châtié. Un bémol cependant, les « dis-je » de l’écrit qui ne flatte pas l’oreille lors de l’écoute.
Dans les passages consacrés aux événements de 1812, voyage et récit sont principalement guidés par les écrits de Colaincourt, grand écuyer de Napoléon, ceux du Sergent Bourgogne et « La guerre et la paix » de Tolstoï. Entre glorification et dénonciation, Sylvain Tesson tente de dresser un portrait nuancé de Napoléon et de tenir en respect sa fascination pour le Petit Caporal. Outre les grands noms de la grande Histoire – Napoléon, l’Empereur Alexandre, le général Koutouzov, etc. –, Tesson évoque les anonymes de la petite histoire, celles des soldats ayant péri dans cette funeste retraite. Et comme c’est si souvent le cas, l’horreur captive. Le lecteur n’est jamais tant emporté que lorsqu’est évoqué le sort des soldats français condamnés à une mort atroce, que cette dernière se présente sous la forme d’un cruel Cosaque, de l’implacable Général Hiver ou de l’insoutenable faim qui en mena plus d’un au cannibalisme. Tesson consacre également un très beau chapitre au sort des chevaux lors de ce retour sans fin vers Paris. « Personne n’a célébré les chevaux de 1812 à la juste hauteur de leur souffrance », nous dit-il. « S’il y a une innocence fauchée par la guerre, c’est bien celle des animaux. Ils se seraient passés de la violence des hommes ».
Sans être irréprochable, Bérézina est un récit et un Audiolib de bonne facture. Zinzins du bicorne et d’histoire(s) ou guetteurs d’aventures (littéraires) : installez-vous dans le panier du side-car de Sylvain Tesson avec votre petite laine (l’hiver russe savez-vous) et laissez-vous porter par la voix de Franck Desmedt.
* En août 2014, Sylvain Tesson a fait une chute de 10 mètres alors qu’il escaladait un chalet à Chamonix.
https://soundcloud.com/audiolib/berezina-de-sylvain-tesson-lu-par-franck-desmedt