d’Edward Bond
Mise en scène : Frédéric Dussenne avec Fabrice Rodriguez, Benoît Van Dorslaer, Christophe Destexhe, Stéphane Ledune, Brice Mariaule et Michel Collige
Du 24 avril au 24 mai 2014 au Théâtre des Martyrs
Oldfield, PDG d’une société d’armement, a eu chaud : son entreprise vient tout juste d’échapper à la tentative d’OPA d’un grand patron de l’agroalimentaire, désireux d’étendre son empire. Ce soir, il aimerait simplement profiter tranquillement de son soulagement, un whisky à la main. Mais c’est compter sans Léonard, son fils adoptif, qui a désormais une idée fixe : il veut entrer au conseil d’administration d’Oldfield and Co, partager les succès de son père. Face au refus de celui-ci, le fils impatient va chercher le pouvoir auprès d’autres requins…
Avec cette tragédie âpre qui se déroule dans le monde cruel des affaires, le dramaturge anglais Edward Bond nous plonge dans un monde d’hommes qui se dévorent pour exister, au risque de perdre leur humanité et leur innocence. Au centre de la pièce, Léonard, loin de l’enfance mais pas encore tout-à-fait adulte, se débat pour s’affranchir de l’autorité écrasante de son père et échapper à son amour, pour gagner une autonomie qui comporte le risque de n’être qu’un assujettissement à d’autres hommes puissants et misérables, destructeurs et détruits.
Edward Bond, dans les entretiens avec David Tuaillon, dit être « citoyen d’Auschwitz et citoyen d’Hiroshima », mais aussi « du monde humain qui est encore à construire ». L’œuvre d’Edward Bond, affirme le metteur en scène Alain Françon qui lui est fidèle, cherche à retrouver le sens de ce que veut dire être humain après l’inhumanité du XXe siècle. Si le monde est tragique, le moi est une source possible de liberté : la conscience tragique qui se développe chez Bond est non négative et non nihiliste, estime encore Alain Françon.
La compagnie des hommes est un très beau texte, violent et lyrique ; l’action est compacte, précise, on y étoufferait presque. La mise en scène minimaliste de Frédéric Dussenne ajoute à ce sentiment d’oppression : les six acteurs évoluent au centre d’une salle au plafond bas, éclairée au néon, avec un fauteuil de bureau pour seul élément de décor ; autour prennent place, sur deux rangées, les spectateurs. Ils sont donc au plus près des acteurs, qui doivent occuper cet espace quasi vide et ce long texte (la pièce dure 2h30), ses tensions et son souffle. L’exercice n’est pas aisé ; si le choix de la sobriété radicale peut servir la force de la pièce, il lui faut des acteurs impeccables, car elle repose alors encore davantage sur ses personnages. Or, on regrette un jeu trop monotone chez plusieurs acteurs : Léonard n’est que colère rentrée et ambition frustrée, de la première à la dernière apparition ; Dodds ne quitte pas une seconde le sourire machiavélique du traître sans scrupules ; Bartley s’apitoie sur son sort sur le même ton plaintif tout au long de la pièce. Les explosions d’émotions sont parfois trop vives, les nœuds dramatiques exprimés de manière trop appuyée. Oldfield en revanche est beaucoup plus incarné et brille par sa présence, ses mouvements intérieurs, sa vie. C’est ce qui manque à cette Compagnie des hommes : un peu de finesse et de nuances dans le jeu pour mieux faire résonner la vitalité terrible et pénétrante de ce texte.