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    FATP 2015 : Rencontre avec José Luis Guerín

    Cinéaste espagnol éminemment reconnu, José Luis Guerín est l’une des figures les plus importantes du cinéma documentaire. Son style très libre lui a valu d’être nommé le cinéaste de l’ébauche. Lors d’un focus consacré à José Luis Guerín au Festival Filmer à Tout Prix, nous avons eu l’occasion de le rencontrer à Bruxelles.

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    Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amené vers la réalisation de films ?

    Petit, j’étais très cinéphile, j’avais d’ailleurs du mal à accepter le monde en dehors du cinéma… Pour moi, j’ai eu le sentiment que je devais accomplir mon destin et que je n’avais pas le choix. Faire du cinéma et regarder du cinéma, ce sont des activités réversibles : c’est comme lire et écrire. Normalement, on commence à écrire après avoir lu. C’est sans doute une gratitude, et j’ai eu la volonté de répondre à tous les films que j’ai vus.

    On remarque qu’il existe un rapport, dans certains de vos films, entre un lieu commun et différentes époques qui y sont raccordées. C’est le cas dans Innisfree où vous retournez sur le lieu de tournage de The Quiet Man tourné 40 ans plus tôt, et c’est aussi le cas dans Tren de Sombras où vous composez à partir d’une (fausse) bobine de pellicule trouvée, ce qui vous permet de renouer avec le cinéma des premiers temps. Est-ce que ce rapport particulier que vous entretenez entre le temps et l’espace est quelque chose dont vous avez conscience dans votre processus créatif ?

    Dans tous mes films, il y a une sorte de temps mythique que je souhaite rendre présent de manière fantasmagorique. Il y a cette idée de temps qui gravite entre passé et présent qui est très importante pour moi. Je ne sais pas si c’est en rapport avec l’auteur ou bien avec ses limitations.

    En ce qui concerne Tren de Sombras, vous disiez vouloir effacer le regardant, pour ne faire place qu’à ce qu’il regarde. Vous mettiez un point d’honneur à supprimer cet intermédiaire avec le spectateur, pour n’obtenir qu’une vision subjective, sans réelle prise de conscience de cela. Pourtant, dans votre film Dans la ville de Sylvia, le spectateur est constamment dans les jeux de regards entre le flâneur et ce qu’il observe. Pourquoi ce changement radical entre ces deux films ?

    Dans Tren de Sombras, le spectateur devait se confronter directement aux ombres, car c’est avant tout un film de fantômes. J’ai enlevé le médiateur (personne qui regarde) pour que le spectateur soit directement en rapport avec les fantômes du passé. Dans la ville de Sylvia, c’est exactement le contraire. Ce sont des films qui cherchent des choses très différentes. D’abord, Dans la ville de Sylvia provient d’un film réalisé auparavant, Quelques photos dans la ville de Sylvia. C’est un récit photographique sans personnages, nous sommes constamment en vision subjective, sans contre-champ. Avec Dans la ville de Sylvia, j’ai voulu expérimenter exactement cette attitude : à partir d’un personnage dont on ne connaît rien, comment le connaître uniquement au travers du contre-champ ?

    Il est parfois intéressant de limiter énormément le nombre de possibilités dans le cinéma pour ne laisser qu’une petite partie. À partir de cette petite partie, on peut alors trouver d’autres états de perception. J’ai souhaité dépouiller au maximum pour n’arriver qu’à ça. Le mouvement qui m’intéressait était d’aller du regard objectif, presque documentaire, et ensuite de tout transformer en allant vers le regard du flâneur. Du concret vers l’abstrait.

    Etes-vous d’accord avec le terme ‘cinéma de l’ébauche’ lorsque l’on qualifie votre travail ? Comment définiriez-vous votre manière de faire des films ?

    Je suis d’accord avec cette idée d’ébauche/d’esquisse dans la mesure où il ne faut pas trop finir les choses. Si l’on finit trop les choses, on limite l’espace du spectateur. Parfois, je fais des films comme Dans la ville de Sylvia, où il y a plus de moyens, c’est possible de réaliser plus de choses formellement ; parfois je fais des films comme L’Academia de las Musas, qui est fait avec techniquement très peu de choses. Mais j’aime bien les défauts, les conflits techniques. Ce qui est primordial pour moi, c’est de penser à l’espace du spectateur et de le convoquer pour finir les choses. C’est pour cela que l’esquisse est importante. Le spectateur doit créer l’image à partir des petites traces que j’ai créées.

    Vous avez également fait une correspondance de lettres vidéo avec Jonas Mekas. Comment s’est déroulée cette expérience ?

    Le centre de culture contemporaine de Barcelone proposait différentes collaborations entre cinéastes pour une correspondance filmique. J’avais fait une liste avec différentes personnes, dont Jonas Mekas. C’est lui qui a été choisi. Pendant deux ans, on s’est envoyé des petits films et on a édité un DVD de cette collaboration. C’est un dispositif que j’aimais bien parce qu’on entre dans la logique de l’aléatoire, et on ne connaît pas à l’avance le film qui va en résulter. D’ailleurs, il y a quelques mois, Jonas Mekas m’a renvoyé une lettre filmique, et je dois encore lui répondre. C’est donc une expérience qui va encore durer, au de-là du centre d’art de Barcelone.

    Quels sont vos projets futurs ?

    J’ai un projet que je compte tourner en Flandres, qui concerne un luthier au 17e siècle. Il s’agit d’un luthier qui cherche, à travers la fabrication de ses instruments, de nouvelles sonorités pour une nouvelle société…

    Propos recueillis par Julie de Wispelaere

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