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    Europeana aux Tanneurs

    Adapté de Patrick Ourednik, mise en scène de Virginie Thirion, avec Anne-Marie Loop

    Du 20 au 31 octobre 2015 à 20h30 au Théâtre Les Tanneurs

    En 2014, l’écrivain tchèque Patrick Ourednik, exilé en France depuis 1984, livrait avec Europeana une sorte d’encyclopédie remixée, ironique et dynamitée, du XXe siècle, siècle des plus grands espoirs et des désillusions les plus vives. Sans chronologie ni hiérarchisation, mais avec un sens de l’objectivité et de l’accumulation volontiers parodique. Le texte met sur le même plan les données statistiques et les événements anecdotiques, les découvertes majeures et les tendances sociales, la pensée des savants et les stéréotypes, les grands jours et le quotidien des masses. De l’avènement du temps libre, à l’invention du papier toilette détachable, de mai 68 au New Age, du bug de l’an 2000 à l’émancipation des femmes, tout y passe, se percute et se croise dans une logorrhée azimutée, comme si l’auteur nous recrachait dans un mouvement sans queue ni tête l’histoire mal digérée d’un siècle absurde, marqué avant tout par le carnage des deux guerres mondiales.

    Transposer ce texte inclassable au théâtre, c’est le pari risqué que s’est fixée Virginie Thirion. La metteur en scène a choisi de mettre l’accent sur la fantaisie du texte : Anne-Marie Loop, la comédienne, a des airs de clown ou de prestidigitateur ; le décor, très simple, est parfois égayé par une pluie de cotillons ou de musique de fête populaire. Mais si le jeu de la comédienne s’avère riche et expressif, suscitant souvent l’émotion, on peut déplorer un manque de grinçant. Dans son personnage de conteuse tantôt exaltée, tantôt désabusée, elle est si animée et donne une telle importance à chaque élément du récit qu’on perd quelque peu la dimension ironique du texte. L’aberration d’un projet consistant à raconter comme un « mémorandum rédigé par un secrétaire d’ambassade qui aurait tout observé de son modeste bureau », ainsi que le résumait Michel Crépu, passe au second plan. En effet, le parti pris d’un narrateur si singulier et si présent n’est pas forcément le plus approprié pour raconter le flux, aussi bien le mouvement de l’histoire qui dilue les individus et emporte les masses que celui qui consiste à décrire et compiler les faits dans une folle perspective d’objectivité pseudo-scientifique. Ainsi, l’accumulation absurde, qui devrait être le principe même du spectacle, tend à ne devenir qu’un procédé un peu lassant pour raconter une histoire, dont la mise en scène et le jeu de la comédienne nous incitent à croire qu’elle pourrait contenir un début, un milieu et une fin. Or, tout l’humour et la lucidité d’Europeana réside aussi dans l’effort désespéré pour saisir un siècle, justement marqué par le règne de l’information, à travers un magma de données disparates et de clichés. « Le livre puise surtout sa matière dans les stéréotypes que vous trouvez presque partout, dans les journaux, les manuels d’histoire, dans la lecture populaire du XIXe siècle, etc », expliquait Patrick Orednik en 2012. « Ces stéréotypes donnent au livre sa dynamique, telle était du moins mon intention » : c’est cette dynamique qui fait ici défaut. Mieux exploité, ce fil aurait donné une adaptation moins tendre, mais plus drôle et plus noire.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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