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    Made in China de Thierry Debroux au Parc

    affiche made in china parc

    de Thierry Debroux

    Mise en scène : Peggy Thomas avec Sophie Descamps, Eric de Staercke, Itsik Elbaz, Fanny Dumont, Adrien Drumel

    Du 24 avril au 24 mai 2014 au Théâtre Royal du Parc

    Made in China nous raconte, dans un registre tragi-comique, les aléas de 3 cadres d’une société de déchets dont l’activité est délocalisée en Chine. Une sélection est organisée : prié de passer sous les fourches caudines d’une vigoureuse RH, un seul aura l’occasion d’aller dans la filiale chinoise à Shanghai. Pour les autres, c’est la case chômage !

    Pour les départager, aucune des techniques de manipulation et de déstabilisation ne leur sera épargnée. D’amis, nos trois compères deviennent concurrents. Heureusement, la pièce choisit de nous faire part de toute la complexité que cette situation engendre au niveau des relations de travail (mais pas seulement !) et évite l’écueil du cynisme en ne mettant l’accent que sur la compétition.

    Cette pièce de Thierry Debroux égratigne donc avant tout – avec talent- les rapports humains qui se nouent et se dénouent en fonction des pressions auxquels les protagonistes sont soumis. Ici, en l’occurrence, le régime managérial visant à mettre en concurrence des « talents », non pas tellement pour leurs qualités intrinsèques, mais avant tout pour leur capacité d’adaptation. Tout au long de la pièce, nous sommes témoin des injonctions paradoxales auxquels nos trois cadres en compétitions doivent répondre : à la fois, dévoiler ses qualités, se montrer sous son meilleur angle… mais aussi faire preuve d’humilité, de flexibilité afin de convenir au marché du travail chinois. Et si ce bon vieux Marx faisait du Capital un type de rapport social, force est de constater que Made in China vit avec son temps, et choisis de mettre en lumière une réalité contemporaine de ces rapports sociaux. Thierry Debroux choisi de s’arrêter sur la lutte des places au sein de cette classe des cadres, qui ne sont ni totalement prolétaire, ni totalement patron… Et doivent donc composer avec ces injonctions contradictoires : « autonomisation des individus » vs. Conformation aux volontés spécifiques de l’entreprise. Toujours en équilibre entre ces deux pôles, Made in China n’est pas pour autant une pièce didactique et plombante : la tonalité générale de la pièce est donnée par une alternance de moments plus légers (voire franchement drôle, mais souvent caustiques), avec d’autres nettement plus sombres, où quelques punch-lines d’humour noir en glacera plus d’un.

    La réussite de la pièce tient également au fait qu’elle ne s’arrête pas aux frontières de l’entreprise. Si le cadre néolibéral de l’entreprise ambitionne de nous transformer, pour nous conformer à ses propres désidératas, nul doute que cela affecte en profondeur notre vie quotidienne : amour, sexe, argent, famille, vieillesse, vie, mort, etc. tous ces thèmes s’agglomère au fur et à mesure et nous font comprendre que s’il n’y a pas de fatalité intégrale, le poids des structures salariales est décisif. Plutôt que d’être une faiblesse narrative, cette profusion thématique est au contraire une des forces de la pièce : en décloisonnant la vie dans l’entreprise et les relations sociales privées, Made in China se donne les moyens d’être pertinent et cohérent par rapport à sa thématique. Autrement dit, l’enrôlement capitalistique se trouve avoir, dans son expression néolibérale, une ambition anthropologique, totalisante. Et au niveau des planches, cela nous offre une variété de situations et casse le cadre linéaire dans lequel le récit aurait pu sombrer. Dans cette perspective, ce sont principalement les relations amoureuses et familiales des personnages qui se verront touchées, pour ne pas dire dégradées. Et là, personnes n’est épargné.

    Si la mise en scène est un peu statique et que le jeu entre les acteurs s’est grippé à quelques reprises (mettons cela sur le fait que c’était la première), la pièce est portée par des acteurs investis (mention particulière à Itsik Elbaz). Notons également un très beau jeu de lumière, et un décor soigné. La folie prenant quelques fois le pas sur le rationnel, la pièce s’autorise même quelques incursions du côté du surnaturel ou à tout le moins de légères césures avec le monde réel. Celles-ci sont discrètes, mais bienvenues et l’on se prend à penser qu’aller un cran plus loin dans cette direction aurait donné encore un peu plus de souffle.

    Capitalisme, néolibéralisme, argent fou, rapport salarial,… Tout cela ne manque pas de sel dans le très bien fréquenté Théâtre Royal du Parc ! Et par un hasard qui ne s’invente pas, c’était le jour de la dernière séance au sénat pour cette première représentation. Les élections sont en vue. La pièce programmée rue de la Loi est un très agréable moment de théâtre qui n’a rien d’un tract politique mais est néanmoins un bon carburant pour la pensée critique.

    Julien Chanet
    Julien Chanet
    Journaliste du Suricate Magazine

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