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    Qui a peur de Virginia Woolf ? : une comédie grinçante bien arrosée

    qui a peur de virginia woolf affiche

    Crédit photo : Bruno Mullenaerts
    D’
    Edward Albee, adaptation de Daniel Loayza, mise en scène de Michel Kacenelenbogen, avec Serge Demoulin, Muriel Jacobs, Toussaint Colombani et Erika Sainte

    Du 11 septembre au 03 octobre 2015 à 20h30 au Théâtre Le Public

    Montée à Broadway en 1962, la pièce phare du dramaturge américain Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ?, a eu sa période de gloire et des prix prestigieux avant d’être immortalisée à l’écran par le couple mythique Burton-Taylor. Cette pièce corrosive, qui compte parmi les plus célèbres scènes de ménage, a fait son grand retour au Théâtre Le Public dans un cocktail explosif de joutes verbales et de perversité.

    Bien frappé, servi on the rocks, décapant, ce psychodrame dresse un portrait au vitriol de la bourgeoisie américaine coincée entre hypocrisies sociales et conjugales. Dans un enchaînement de jeux sordides, d’alcool et d’humiliation, un couple de quarantenaires bien éméchés se déchire, de deux heures du matin jusqu’à l’aube, en présence d’un jeune couple qui se retrouve pris dans un jeu infernal dont il ne maitrise pas les règles.

    Lui, c’est George (Serge Demoulin). La quarantaine bien entamée. Professeur universitaire raté, en mal de publications, écrasé par son beau-père, doyen de l’université. Malgré son étiquette d’éternel perdant, il est d’une intelligence redoutable, capable d’assener des réparties implacables qui finissent par terrasser ses adversaires.

    Elle, c’est Martha (Muriel Jacobs), de 6 ans l’aînée de son mari. Aussi hystérique qu’alcoolique, elle noie ses frustrations dans le brandy et la vulgarité. Personnage anguleux, dépravé, constamment en surchauffe, qui ne recule devant aucun sacrifice pour humilier son mari.

    Face à ce couple aux confins de la névrose et de la folie, Nick (Toussaint Colombani), jeune professeur en biologie arriviste, et Honey (Erika Sainte), fille simple un brin frivole, vont jouer les faire valoir dans ce grand déballage de vérités et de mensonges. Représentant le conformisme de la société américaine dans les années soixante, ils ne sortiront évidemment pas indemnes de ce jeu de massacre. Peu à peu, des failles insoupçonnées dans leur jeune couple seront livrées en pâture au duo diabolique qui en feront le plus vil usage.

    Au milieu de cette dialectique imparable, transparaît une ombre de folie, de dépression et de perfidie qui rend les personnages plus complexes qu’ils n’en ont l’air. On finit par comprendre que, derrière les injures et l’épaisseur du temps, les époux infernaux demeurent indissociables et sont finalement peut-être bien plus sincères que les deux jeunes et fringants mariés. Il est beaucoup question, dans ce huis-clos, de non-dits mais aussi de différences entre les générations et les sexes.

    Revenant sur cette pièce qu’il avait montée en 1996, Michel Kacenelenbogen y apporte, presque vingt ans plus tard, un nouveau regard sur la vie de couple. Pour renforcer le vertige du public captif de ce carnage psychologique, il a opté, dans sa scénographie, pour un plateau tournant. Celui-ci peut être vu comme un ring de boxe qui laisse transparaitre les adversaires sous des angles et points de vue différents. Sa pièce est joyeusement rythmée par un quatuor de comédiens irréprochables qui réussissent l’exploit de maitriser des dialogues de haute voltige tout en se saoulant avec opulence ! Serge Demoulin, qui jouait le personnage du jeune Nick en 1996, devient George et reste, en toutes circonstances, d’un calme déconcertant face à une Muriel Jacobs toute en furie.

    Alors miroir déformant ou révélateur de couples en perdition marqués par l’usure du temps et les non-dits ? La pièce d’Edward Albee est en tout cas une comédie pleine de sauvagerie, d’humour et d’humanité qui décape et bouscule sans ménagement. A déguster sans modération au Théâtre Le Public jusqu’au 3 octobre.

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