More

    Cafard, un bijou d’étrangeté

    cafard poster

    Cafard

    de Jan Bultheel

    Animation, Drame

    Avec Wim Willaert, Dinara Drukarova, Sebastien Dewaele, Maarten Ketels

    Sorti le 23 septembre 2015

    Cafard est un petit bijou d’étrangeté à l’intérêt indéniable, pétri de contradictions ; le genre de film  au charme extraordinaire, dont on peut parler pendant des heures.

    L’histoire suit l’épopée de Jean Mordant, Champion du Monde de lutte, lors de son parcours au sein de l’ACM (Auto-Canon Mitrailleuse), un corps d’élite de l’armée Belge pendant la Première Guerre mondiale. Les faits sont réels et atteignent un niveau d’absurde que seule la réalité peut atteindre, tandis que les personnages sont fictifs mais souvent inspirés de personnages réels.

    C’est la force majeure de Cafard : savoir garder une trame de fond tragique, utiliser le cadre de la guerre et le mettre en abîme par l’arc des personnages qui occupent le point focal de l’aventure. Les thèmes abordés par le film vont de la mort à l’amour en passant par l’impuissance, la solitude et une ribambelle d’autres qu’il vaut mieux ne pas spoiler et cependant, malgré des thèmes assez lourds, on arrête pas de rire : confrontés aux horreurs de la guerre, nos héros versent une larme suivi d’un trait d’humour, face à l’adversité, ils se distraient comme ils peuvent. La superposition de ces deux tendances donne un sens profond d’humanité qui se dégage tout au long du film et encourage le spectateur à chausser ses bottes pour partager un moment de vérité avec les personnages.

    Depuis plusieurs années, une révolution dans le monde de l’animation est anticipée, sans jamais remplir les attentes : il est question de faire des films destinés à un public adulte, et d’utiliser l’animation de façon à …heu…(c’est ici que l’argument vire en Marketing-Speak).

    Cafard réussit le tour de force : l’animation est utilisée pour polir des scènes dures, arrondir certains angles et se placer dans un décor et une histoire sombre sans révulser l’audience. Les panoramas sont particulièrement réussis avec des plans larges offrant un spectacle visuel éblouissant et une esthétique ne perdant jamais de son charme.

    C’est un peu moins réussi du côté de la motion capture, qui brille par moments mais souffre de quelques problèmes de jeunesse, particulièrement dans certaines interactions physiques entre personnages où on a parfois l’impression de voir une cinématique de jeu vidéo : un manque de poids, de naturel, un côté insubstantiel qui sonne faux.

    Le film innove de bien des façons : dans la réalisation technique et le traitement des sujets abordés, dans l’histoire et tout simplement, dans le genre et le ton.

    Certains problèmes se doivent d’êtres notés. Si le rythme est solide, il est parfois inégal avec certaines séquences trop hâtives, et d’autres inutiles. Bien que les points clés soient introduits, le film suppose une certaine connaissance des évènements historiques et pourrait dérouter ceux qui ne sont pas familiers avec cette page de l’histoire, surtout du côté Russe.

    Cafard est un excellent film dont les quelques péchés n’enlèvent rien au charme. Les personnages sont particulièrement intéressants, évoluent et réagissent de façon justes. Ils vivent des moments d’une intensité incomparables, d’une brutalité sans nom, et c’est par la force de leurs personnalités, de leurs amitiés, qu’on vit la Grande Guerre. Trop souvent, les films de guerre antagonisent l’audience par excès de zèle : on montre la guerre, nue et sans fard, évoquant un sens de voyeurisme morbide chez le spectateur. Jean Mordant et sa bande sont de notre côté, leurs difficultés sont les nôtres. Ils nous mènent en bateau dans un long périple, au bout duquel se trouve un message fort touchant.

    Le film gagne à être vu à sec, sans bande annonce. Rien. N’allez surtout pas vous renseigner sur wikipédia : gardez juste en tête que tout est vrai (à peu de choses près), vous aurez tout le temps de vous renseigner plus tard, et vous en aurez l’envie.

    Très chaudement recommandé.

    Jan Kazimirowski
    Jan Kazimirowski
    Journaliste du Suricate Magazine

    Derniers Articles