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    Amor Mundi à l’Océan Nord

    D’après Hannah Arendt, conception et mise en scène de Myriam Saduis, avec Romain David, Laurie Degand, Jérôme de Falloise, Soufian El Boubsi, Mathilde Lefèvre, Aline Mahaux, Ariane Rousseau

    Du 8 au 19 septembre 2015 au théâtre Océan Nord

    New York, 1951. Hannah Arendt (interprétée avec beaucoup de conviction par Mathilde Lefèvre) convie quelques proches pour célébrer la publication de son premier ouvrage : Origines du totalitarisme. Le décor scénique est sobre, quelques pièces de mobilier tout au plus, rien qui ne retienne l’attention et tant mieux, car il ne s’agit pas d’une pièce tape-à-l’œil, au contraire. C’est aux pensées, aux idées qu’incombe la tâche de combler l’espace scénique.

    Au cours de cette soirée, Hannah et ses quelques invités abordent divers thèmes philosophiques, minutieusement mais sans approfondissement. On évoque Kant et Heidegger, ainsi que les grands maîtres à penser de la Grèce antique. Les réflexions sont régulièrement entrecoupées par de brefs retours à la réalité, lorsque, par exemple, les convives racontent leurs tracas quotidiens, leurs traumatismes, leurs peurs et leurs joies. Tout cela illustre avec une certaine subtilité, sinon une certaine pudeur, les conditions de vie des Juifs et des Allemands qui fuirent l’Europe pour les États-Unis lors de la seconde guerre mondiale.

    Les scènes, à la manière de planches, sont entrecoupées d’interludes étranges, tantôt psychédéliques, tantôt décalées. Un choix scénique tranché qui risque de ne pas convaincre tout le monde, mais qui offre au public l’opportunité de méditer quelques secondes sur les paroles à peines prononcées, et de s’en imprégner encore un peu avant de passer à la suite.

    Progressivement, le spectacle gagne en intensité, au fur et à mesure que les thèmes soulevés et débattus sur scène touchent de plus en plus au fondement de la réflexion d’Hannah Arendt. Et l’on comprend qu’Amor Mundi n’endossera pas la cape du biopic, que ce n’est guère la biographie de l’auteure de La Crise de la Culture, en tout cas pas en tant que telle, qui est mise en avant. Il s’agit plutôt d’une pièce au cours de laquelle le spectateur s’enlise peu à peu dans un univers intuitif, presque onirique. Un univers qui recrée l’état d’esprit exceptionnel qui fut celui de Hannah Arendt au tournant de son existence.

    Finalement, le spectateur rentrera peut-être chez lui comme avec un goût de trop peu, et la tête bourdonnante d’interrogations essentielles sur sa condition de citoyen, et même sa condition d’être humain. Mais qu’on se le dise, ce goût de trop peu n’est en rien une faiblesse, un défaut dont il faut incriminer la pièce : mieux vaut y voir une invitation à se plonger dans la réflexion profonde et complexe de cette grande penseuse du XXème siècle.

    Ivan Sculier
    Ivan Sculier
    Journaliste du Suricate Magazine

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