scénario & dessin : Nicolas de Crécy
éditions : Casterman
sortie : 15 avril 2015
genre : Franco-belge
Tout petit, tout chétif, Mario tient un magasin de pianos où joue sans cesse son ami, un pingouin. Mario est amoureux de Bérénice, cette catcheuse qui n’en a rien à faire de lui. Elle fait partie de la République du catch, cette congrégation d’idoles dont les exploits musculaires font se prosterner le peuple. Et Mario vient d’une famille pas très normale où son neveu Enzo, un bébé porté par un molosse, fait la loi et tente un jour de le tuer pour se débarrasser de son magasin de piano. La guerre est déclarée.
Prépublié dans la revue Ultrajump au Japon sous forme d’épisodes entre 2014 et 2015, La République du catch garde de son format initial une continuité narrative particulière aux rebondissements fréquents. L’attention du lecteur est constamment stimulée par un rythme à la fois soutenu et curieusement calme. C’est ce mariage assez improbable qui constitue la force de La République du catch, ça et la grande poésie qu’il dégage.
Dans un univers où la ville est devenue trop grande par rapport à Mario, tout petit personnage, et au lecteur, Nicolas de Crécy explore les dérives d’une société moderne tournée tout entière vers la performance, la force physique et le culte de la personnalité. Ceci vous rappelle quelque chose ? C’est que ce cross-over entre Métropolis et Alice au pays des merveilles peut tout à fait être parcouru comme une allégorie de notre société capitaliste et sensationnaliste. Et précisément parce que c’est une allégorie, elle en devient percutante et magique.
Et le trait faussement hésitant de Nicolas de Crécy dessine avec un lyrisme précis ce petit bonhomme, l’antithèse des gros molosses, qui ne jure que par sa faiblesse et ses sentiments, opposant de nouvelles valeurs à un monde qui a oublié qu’il était peuplé d’êtres humains et ne voit plus que leurs performances. Mario est inutile mais si touchant, lui qui rêve de connaître l’amour et a pour l’aider une armée de freaks aux allures de shadoks.
Et dans cette éloge de l’inutile, du non-rentable, un pingouin joue du piano avec des notes de musique qui sont tellement vraies qu’elles en deviennent matérielles. Et tout d’un coup les valeurs sont renversées: la force plie devant la faiblesse, et les faibles gentils ont une chance de terrasser les méchants forts.
Et le plus merveilleux dans tout ça, c’est l’univers effrayant mais beau, les usines qui deviennent des trous de lapin dans lesquels on tombe au ralenti, en flottant comme dans du cotton. Et le tout se tient comme un merveilleux Neverland hostile. Ce que Nicolas de Crécy fait, c’est de la poésie avec des gros muscles, de la sueur et des immondices. Prodige de bande dessinée.
Ouvrir La République du catch, c’est pousser les portes d’un rêve où les catcheurs sont rois et attaquent les pingouins qui jouent du Ravel parce que cette beauté devient plus menaçante que la plus grande pile de muscles. Un monde où la beauté a disparu pour faire place à la force mais où le monde, vu depuis la petite taille d’un vendeur de pianos devient un poème en soi, où les cadavres des gros-vilains-pas-beaux portent des talons aiguille au bout de leurs jambes robotiques. Ouvrir La République du catch, c’est être happé dans un voyage merveilleux et en ressortir avec l’impression d’avoir parcouru la saleté du monde et d’en être ressorti les yeux pleins de magie et de tendresse. To be continued.