Samedi était une très belle journée, autant à l’extérieur que dans les entrailles enchoucroutées et entrollées de Bozar. Une série de films de bonne qualité malgré un film indien qui aura tôt fait de nous agacer. Détour (non mortel) par le BIFFF, comme depuis dix jours maintenant.
Wrong Cops de Quentin Dupieux
Arrivé sur le fil du rasoir, ce samedi à 14h, on évite tout de même de rater le début de Wrong Cops, le nouveau film du sieur Dupieux (Steak, Mr. Oizo, Rubber, etc.). On sait que l’absurde sera roi mais avec peut-être quelques appréhensions. C’est ma première expérience d’un film de Quentin Dupieux.
Le film suit les péripéties d’une bande de branquignols tous un peu attardés. Mais voilà, nos héros sont des flics, ce qui change tout. Entre crimes, deal de drogue, recherches sexuelles, etc. On peut dire qu’au commissariat ça swingue.
Plus une série de sketchs ou de moments, Wrong Cops et assez jouissif dans son humour lourd et absurde. Les acteurs américains sont dingues et Marilyn Manson fait une apparition fort remarquée, à condition que vous le reconnaissiez non maquillé. Sans oublier Eric Judor qui continue de montrer son talent chez Dupieux !
On passe un sacré bon moment et c’est bien là le principal. Cet engouement sera bien moins présent devant le quatrième et dernier film indien du festival : Eega.
Eega de S.S. Rajamouli
D’accord, nous étions samedi. D’accord, les films indiens décèlent une certaine qualité qui plait à un certain public. Mais il n’y rien à faire, après une demi-heure, les films indiens nous ennuient.
Pourquoi ce manque d’enthousiasme face à un film au demeurant bien fait ? Premièrement à cause de la succession de films que nous avons pu apercevoir au BIFFF. Après une trentaine de films, il faut bien avouer que la patiente à des limites très restreintes. Deuxièmement, la mièvrerie des propos et l’absurdité des plans nous désolent au plus au point.
Même si c’est très beau, nous n’arrivons pas à croire un instant à cette romance fantastique où Nani, badaud jovial mais un peu simplet, est éperdument amoureux de Bindhu, le mannequin du coin. Entre chansons bollywoodiennes et musiques écrasantes, nos oreilles ont eu beaucoup de mal à résister. D’ailleurs, Sudeep, entrepreneur un peu nerveux, est également amoureux de Bindhu. Pour la sauver des chansons massacrantes et ridicules de Nani, il le bute. Très bonne idée mais Nani est un dur à cuire et passe de parasite à nuisible en se réincarnant en mouche.
Bon, cette interprétation est plutôt la nôtre mais l’histoire de fond est bien celle décrite ci-dessus.
Chez nos amis les indiens, il ne faut pas déconner avec la réincarnation. Cette notion de rétribution des âmes, cette continuité du karman, c’est une affaire nationale. C’est dès lors tout naturel que le cinéma indien s’en inspire largement et le porte à l’écran. Sur ce point, nous sommes d’accord… mais une mouche tout même…
Bref, nul besoin de s’attarder sur ce long métrage qui a néanmoins beaucoup plu aux Bifffeurs venus en nombre en cette après-midi printanière. Ils ont évidemment plus ri qu’autre chose mais c’est bien là l’essentiel.
Time Lapse de Bradley King
Pour continuer la journée, direction la science-fiction et les États-Unis avec Time Lapse. Devant une salle bien remplie, l’équipe du film entonne une chanson en français reprise par l’entièreté du public, chauffé à blanc par la prestation lyrique et gestuelle de notre talentueux maître de cérémonie.
Time Lapse nous emmène dans un huit-clos haletant. Dans un petit appartement trois pièces sis dans un clos privatisé, deux hommes et une femme vivent en harmonie. L’une a un boulot ingrat, l’un est un peintre en mal d’inspiration (et concierge accessoirement) et le troisième passe ses journées devant la télévision à parier sur les courses de lévriers. Rien de palpitant si ce n’est le voisin d’en face qui ne donne plus signe de vie. Par curiosité, les trois amis s’immiscent dans son habitation bordélique et y découvrent un mystérieux engin qui prend des photos de leur baie vitrée. Mais voilà, ce qui pouvait s’apparenter à une machine pleine de perversité, va se révéler être un appareil photo Polaroïd prenant des clichés 24h à l’avance. Les boules !
L’idée vous semble très originale et cela tombe bien car le film de Bradley King est une réussite du genre. Bien évidemment, les budgets ne rivalisent pas avec une superproduction hollywoodienne, ce qui se ressent dans le manque d’ambition technique. De plus, les raccourcis scénaristiques ont très vite tendance à accentuer le côté éthéré du récit. Mais quoiqu’il en soit, le suspense reste assez présent et, au vu des dix jours qui précèdent, on peut dire que ce film n’a pas à démériter. Un film à voir, même par pure curiosité.
Real de Kiyoshi Kurosawa
En fin de BIFFF, un film un peu apaisé, où les seuls morts-vivants sont des « zombies philosophes », ça fait du bien. Pourtant, vu le scénario, Real pourrait nous emmener dans des régions tout-à-fait effrayantes : Koïchi, qui attend depuis un an que sa copine, Atsumi, se réveille du coma dans lequel elle est plongée suite à une tentative de suicide, décide de tenter à l’hôpital l’expérience du « contact ». Il s’agit pour lui, en se connectant à une interface, de pénétrer dans l’esprit d’Atsumi. Au cours des séances de contact, le couple se retrouve alors dans une réalité virtuelle, aux frontières de la semi-conscience et de l’inconscient d’Atsumi. Mais aux limites de la vie et de la mort, du réel et du rêve, on découvre des choses qu’on aurait préféré oublier…
Real est un film à la mise en scène aboutie et très élégante, d’une grande beauté visuelle. La lumière et le dépouillement qui l’habitent baignent l’histoire dans une atmosphère très particulière, qui fait surgir l’inquiétude au cœur du calme et la douceur au sein de l’angoisse. Le film tient un juste équilibre entre dévoilement et opacité, et si nous comprenons peu à peu le sens des fantasmes qui se matérialisent sous nos yeux, la poésie et la pudeur de Real l’empêchent de tomber dans une lourdeur explicative. Le débordement émotionnel n’est pas non plus de mise, ce qui permet à la narration de se focaliser sur le développement de l’action dans les espaces mentaux des personnages et sur son propos principal : une réflexion sur l’inconscient et son expression, le processus de refoulement et la culpabilité. Mais Real n’est pas pour autant un film abstrait et froid : d’abord parce qu’il explore avant tout le monde intérieur sous la forme des images, composant l’histoire des personnages – le dessin occupe d’ailleurs une place importante dans leur vie. Ensuite parce que c’est une histoire d’amour, qui aborde l’accompagnement de ceux qu’on aime vers la vie, sans excès démonstratif. Au regard de la tonalité générale du film, dont on apprécie l’originalité et la finesse, on peut donc regretter la fin, un peu trop hollywoodienne. Même si, après deux semaines de BIFFF, croire à la force de l’amour, ça repose.
Loïc Smars, Matthieu Matthys et Emilie Garcia-Guillen