auteur : Kevin Barry
éditeur : Actes Sud
parution : avril 2015
genre : science-fiction
2053. Sur la côte Ouest d’Irlande se trouve la ville de Bohane, qui tire son nom du fleuve putride qui la traverse. Rien de bon n’est sorti de ce fleuve. Ni le nom qu’il a donné à la ville ni l’atmosphère qu’il fait peser au-dessus d’elle. Le premier roman de Kevin Barry croise le fer entre un futur sombre et un retour à une société des clans dans une atmosphère noire et captivante.
Logan Hartnett règne en maître sur le Fancy de la Back Trace, ce quartier qui se trouve entre le fleuve qui le sépare du bordel à ciel ouvert de Smoketown et des North Rises où trône Eyes Cusack sur la racaille de Norrie. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’entre ces deux-là le torchon brûle. Cette lourde animosité devra se régler dans un Conflit qui décidera du sort de Bohane et de ses clans. Mais que vient faire Le Gant, cet homme que tout le monde craint, à Bohane après 25 ans d’absence ? Serait-il venu récupérer Macu, son ancien amour, depuis longtemps mariée à Logan?
Bohane, sombre cité n’est pas à proprement parler un roman de science-fiction. Bien qu’il explore un avenir proche, il le fait plutôt avec une approche de fantasy médiévale. Le futur à Bohane prend l’aspect d’un retour à une logique communautaire de clans, de croyances en des instances divines et à une ambiance crasseuse qu’on associe volontiers au Moyen-Âge. Mais dire que le premier roman de Kevin Barry effectue un retour en arrière serait simpliste. Il emprunte en effet à des sources plus contemporaines comme le monde des comics à la Sin City comme cette impitoyable chinoise en combinaison de vinyle blanc.
Toujours est-il que Bohane, sombre cité brasse de nombreuses influences et s’apparente à un Seigneur des anneaux urbain dans l’idée d’un retour à une société communautaire basée sur l’ethnie et l’appartenance à un endroit. Cette importance prépondérante du lieu et à la manière dont ce dernier influe sur les hommes et leur comportement installe le récit dans une dimension tragique tant les personnages sont des marionnettes d’un destin qui leur échappe.
Kevin Barry présente ce monde par une prose à la voix d’un conteur omniscient qui ferait également partie de ce petit monde, rattachant Bohane, sombre cité au genre du conte populaire. Ce choix pousse le langage à s’imprégner de l’ambiance de l’univers décrit, donnant au récit une saveur noire et pesante d’un monde où le crime et la fornication sont maîtres, un monde où l’homme est redevenu un animal mu par ses instincts primaires. Ne le tiennent à son humanité que les chefs de clan.
Cette crasse qui traverse le roman de part en part pousse une réalité sociale du Commonwealth pesante de films comme ceux de Ken Loach ou le plus récent Fish Tank d’Andrea Arnold vers l’exutoire de la fantasy. On ne peut en effet s’empêcher de voir en Bohane la transposition d’un monde irlandais contemporain qui aurait effectué un retour vers ses racines (du moins dans le ton du roman).
Divisé en 4 chapitres, le récit épique couvre une année et un cycle de la vie de Bohane, l’inscrivant dans ses rites et ses coutumes. La prose est volubile et passe sans cesse d’action à description, rendant la lecture dense et parfois un peu lente. Mais dès qu’on pénètre dans l’univers, Bohane, sombre cité se transforme en une merveille de noirceur, de pessimisme et finalement d’espoir. C’est un livre qu’on ne lâche plus et qui imprègne le lecteur d’un peu des eaux noires et poisseuses du fleuve qui détermine le comportement des habitants de ses rives.