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    Rencontre avec Vania Leturcq et Constance Rousseau pour « L’année prochaine »

    Vania Leturcq signe avec L’Année Prochaine son premier long métrage de fiction actuellement au cinéma, avec à l’affiche Constance Rousseau (Tout est Pardonné, Un monde sans femmes) et Jenna Thiam (Les Revenants,  Salaud, on t’aime). Ce film réalisé avec peu de budget offre néanmoins un récit prenant et authentique qui raconte l’histoire de Clotilde et d’Aude qui arrivent à la fin du bac et pour qui s’ouvrent les portes des possibilités d’avenir, bien qu’un peu à l’étroit dans le village où elles habitent. Mais Clotilde a de la suite dans les idées et compte bien les faire partager à son amie. 

    C’est avec beaucoup d’enthousiasme que Le Suricate Magazine a eu l’occasion de rencontrer la réalisatrice Vania Leturcq ainsi que l’une des deux actrices, Constance Rousseau, qui se livrent toutes deux sur l’aventure qu’a été la réalisation de l’Année Prochaine, et reviennent sur une partie de leur parcours. 

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    Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet et le pourquoi du désir de raconter cette histoire-là ?

    Vania : J’avais envie de raconter l’histoire d’une amitié comme d’une histoire d’amour, à un âge où on vit des amitiés fusionnelles et très fortes, et qui peuvent se briser comme une rupture amoureuse. Je voulais aussi parler de ce passage charnière assez important et violent qu’est la fin de l’école au début des études. On est très jeune et on doit faire des choix qui auront une influence énorme sur notre avenir. Je voulais mettre cette amitié fusionnelle à l’épreuve du changement et voir comment cette amitié pourrait résister. C’est un peu ça le point de départ.

    Les personnages sont très caractérisés : l’une, Clotilde, qui va à l’université faire de la philosophie, et l’autre, Aude, fait de l’art.

    Vania : Le personnage de Clotilde a une ambition forte et je trouve ça très positif. J’avais envie d’avoir cette fille ambitieuse et décidée qui a en même temps peur, et à côté Aude qui est très spontanée, qui n’a pas spécialement de plan d’avenir et qui suit un désir qui n’est pas le sien. Ça m’amuse de jouer un petit peu sur les clichés tout en essayant de ne pas tomber dedans. D’avoir deux personnages qu’on croit avoir cerné au début et qui vont devenir tout à fait autre chose. Je voulais parler des désirs qu’on peut avoir pour soi et pour l’autre. De savoir ou ne pas savoir ce qu’on fait, à cet âge particulier. Je pense qu’à cet âge-là, et peut-être même toute sa vie, c’est très difficile de vouloir très fort quelque chose et d’avoir peur de ne pas l’obtenir. De même, c’est très difficile de ne pas savoir ce que l’on veut. Dans ce film, ça devient très violent pour l’une et l’autre de se voir, car l’autre représente l’extrême opposé de ce qu’elles sont. C’est pour ça qu’au départ elles se sont trouvées. Parce qu’elles sont opposées et qu’elles se complétaient bien. Jusqu’à ce qu’elles arrivent à un moment où leurs différences ne leurs font plus plaisir.

    Pour vous Constance, de quelle façon avez-vous perçu votre personnage ?

    Constance : Quand j’ai lu le scénario j’ai été très touchée parce que cela a répondu à ce que j’avais vécu à peu près à l’âge de Clotilde et d’Aude. J’avais été très amie avec une fille depuis la maternelle, et au lycée on s’est fort disputée parce qu’on n’arrivait pas à grandir, parce qu’on était trop attachée et qu’on était trop similaires à la fois. Toute notre jeunesse et adolescence, les gens nous confondaient, alors à un moment donné on s’est dit que ça devait s’arrêter, on voulait être différentes l’une de l’autre et on devait se séparer. Du coup, lorsque j’ai lu le scénario j’ai été touchée. Je me suis retrouvée dans le personnage de Clotilde parce qu’elle est celle qui pousse l’autre à faire des choses et elle n’est pas tout le temps très douce avec Aude. Je pense qu’au départ, si Clotilde a emmené Aude avec elle à Paris, c’est par bienveillance. Elle pense que c’est bien pour son amie et bien pour leur amitié, et du même coup bien pour elle. C’est une forme d’égoïsme bienveillant.

    Combien de temps la création du film vous a pris ?

    Vania : Il y a eu sept ans à partir du moment où j’ai commencé à écrire et le moment de le tourner. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, je n’avais seulement fait qu’un court métrage de fiction. Ensuite, pendant sept ans, j’ai fait d’autres courts-métrages, du documentaire, j’ai travaillé comme assistante à la réalisation. Il y a eu une longue période d’écriture suivie d’une longue période de recherche de financement. On a vraiment cru que le projet ne se ferait pas.

    Et dès le départ, était-ce film-là que vous vouliez faire ?

    Vania : Oui, c’est assez fou parce que ça ne m’a jamais lâché. Je me demande comment j’ai pu faire un même projet pendant sept ans sans m’en lasser. Tous les matins, je me réveillais en me disant que je voulais raconter cette histoire-là, malgré les échecs ou les gens qui me disaient que cela ne les intéressaient pas et les épreuves de recherche de financements. Malgré tout cela, je me disais qu’il y avait quelque chose dans ce film que je voulais raconter et que je n’avais pas encore pu raconter de cette façon-là. Comme cette envie ne passait pas, je me suis accrochée et j’ai eu la chance d’avoir des producteurs (NDLR : Hélicotronc en Belgique et Hors-Champ en France) qui étaient vraiment cool, et qui ont décidé de faire le film avec les petits moyens qu’on avait. Malgré le peu de budget, on a quand même décidé de le faire. Aujourd’hui, les retours positifs des gens me réconfortent et je me dis que j’ai eu raison de m’accrocher.

    Comment avez-vous choisi vos comédiennes ?  En sachant qu’elles sont plus âgées que les personnages…

    Vania : Elles n’étaient pas tellement plus âgées au moment du tournage. Mais je voulais trouver des comédiennes pour incarner ce que je cherchais, peu importe l’âge. Constance, on lui donne parfois 14 ans !

    Constance : Parfois, on me demande ma carte d’identité quand je veux acheter des bières ! Je ne fais pas 25 ans.

    Comment avez-vous travaillé le jeu d’acteur ?

    Vania : On a fait quelques jours très intensifs juste avant le tournage. On a vécu ensemble dans le même appart et on a fait cinq jours de répétitions avec des essais costumes et maquillages. Là, on a plus travaillé sur les improvisations que sur les scènes du film, et cela nous permettait de chaque fois travailler sur les personnages et de les approfondir. Pendant le tournage, je ne suis pas attachée à mes mots, je n’écris pas des dialogues d’auteurs, donc si elles veulent dire les choses d’une autre manière, je m’en fiche tant que l’intention y est. Elles avaient la liberté de changer les mots, sauf lorsque certaines phrases devaient être dites telles quelles.

    Comme on avait très peu de temps de tournage, j’avais ce désir de tourner beaucoup. J’avais besoin de versions différentes, pour pouvoir avoir différentes options.

    Je voulais une mise en scène très proche des personnages avec une caméra très mobile. Je ne voulais surtout pas leur imposer des mouvements trop calculés.

    Le film est tourné en numérique n’est-ce pas ?

    Vania : Oui, parce que j’avais envie qu’on puisse faire beaucoup de prises et donc de filmer beaucoup. Je ne voulais pas me soucier d’avoir à laisser tourner la caméra, parce que je voulais être dans cette énergie, dans ce mouvement, capter les petites choses entre elles qui ne sont pas forcément écrites. Et donc, dès le départ, je savais que je ne voulais pas tourner en pellicule. J’ai fait un film en pellicule (NDLR : La Maison). C’était super, mais c’est vrai qu’on avait deux prises, tout était très calé ce qui donnait une concentration de dingue au moment où on le faisait. Mais je sentais que cela ne s’appliquait pas à ce film-ci.

    Constance, vous imaginez-vous rester actrice ou avez-vous d’autres envies ?

    Constance : Je n’ai pas choisi d’être actrice, c’est le hasard qui a fait que je suis devenue actrice. Le premier film dans lequel j’ai joué, Tout est pardonné de Mia Hansen-Løve, c’est la directrice de casting qui m’a “trouvée dans la rue” alors que je me rendais à mon lycée, j’avais 16 ans. J’étais un peu réfractaire au début, mais je me suis laissée faire et je crois que j’ai eu raison. Je pense que ce qui me rend la plus heureuse dans le fait de faire des films, c’est le fait d’être choisie et de me laisser séduire par des gens, et de séduire des gens à mon tour. Je trouve qu’il y a quelque chose de très joli là-dedans. J’ai envie de continuer de rencontrer des gens que j’admire et qui me touchent. J’ai envie de m’investir pour eux, de leur faire confiance et qu’ils me fassent aussi confiance.

    Je m’intéresse à pleins d’autres choses mais j’ai l’impression que maintenant c’est trop tard ! C’est un peu le cinéma qui m’a choisie, je suis tombée dans la soupe du cinéma et je ne saurais plus comment m’en sortir. En revanche, dans le cinéma il y a pleins de choses qui m’intéressent et je pense que je m’ennuierais en ne faisant qu’actrice. On verra bien !

    Et vous Vania, pourquoi ce désir de réalisation ?

    Vania : J’aimais beaucoup le cinéma quand j’étais enfant et ado, et j’ai toujours été fascinée par les acteurs, mais je savais que je ne voulais pas être comédienne. Un jour, j’ai lu un livre sur François Truffaut, j’avais 14 ans et je ne savais pas très bien ce qu’étais le métier de réalisateur. En lisant ce livre, je me suis dit que c’était ça que je voulais faire : être à l’endroit où on raconte l’histoire, où on décide et où on choisit. J’ai été voir mes parents et je leur ai dit que je voulais être réalisatrice.

    Puis je suis rentrée à l’IAD en sortant de rétho. J’étais assez stressée pendant mes études, je prenais beaucoup de choses au pied de la lettre. Je n’avais pas un caractère fort et j’étais entourée de gens qui avaient des univers très forts et des caractères marqués. Finalement, je me suis construite pendant mes études et surtout en commençant à travailler sur des films comme assistante réalisatrice. Puis, j’ai travaillé sur des films fauchés, ça m’a fait me dire que ce qu’il faut ce n’est pas l’argent mais rassembler et motiver des gens autour de soi. C’est ce que j’ai fait pour mon premier court-métrage. On avait 2500€ et j’ai embarqué une bande de copains.

    Quels sont vos projets à venir ?

    Constance : je viens de terminer le tournage d’un film à Paris de Kiyoshi Kurosawa (NDLR : La Femme de la Plaque Argentique).

    Vania : Moi, je me remets à écrire un long-métrage avec le même co-scénariste que pour L’Année Prochaine (NDLR : Christophe Morand). C’est encore un peu tôt pour en parler.

    Propos recueillis par Aurore Wouters

    Aurore Wouters
    Aurore Wouters
    Journaliste du Suricate Magazine

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