De l’Infini théâtre, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée et l’Opéra de Bizet, adaptation et mise en scène de Dominique Serron, création et direction musicale d’Antoni Sykopoulos, avec Alexia Depicker, Daphné D’Heur, Florence Guillaume, Sylvie Perederejew, Laure Voglaire, Patrick Brüll, Laurent Capelluto, Toni D’Antonio, Vincent Huertas, François Langlois, Vincent Zabus, Antoni Sykopoulos (piano), Gauthier Lisein (batterie/percussions), Mathieu Najean (Saxophone ténor)
Du 22 avril au 23 mai 2015 à 20h15 au Théâtre de la Place des Martyrs
« L’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais, jamais connu de loi
Si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Et si je t’aime, prends garde à toi »
Sur l’air de la Habenara, le corps de Carmen définit l’amour dans une bidimension sensorielle et émotionnelle. Dans la polyphonie du « fatasmagoreur » et de l’image fantasmagorique, Carmen, la véritable histoire épuise les moyens d’expression dans une homogénéité instinctive.
Une valise à la main, de l’espoir au fond de l’être, quatre hommes se rendent chez Toni Pastia, dans une sorte de non-lieu qui peut autant être un salon, un hall d’hôtel qu’un casino d’hommes. Ils attendent Prosper Mérimée, un auteur qui vient leur raconter la véritable histoire de Carmen, et ils espèrent, en jouant à tour de rôle le personnage de José, de rencontrer la merveilleuse femme. Accompagnées des commentaires de Prosper et des acteurs, les scènes défilent alors que les hommes jouent respectivement le rôle du soldat, et qu’apparait à chaque scène, comme par fantasmagorie, une Carmen différente.
L’Infini théâtre répond au goût populaire d’un public de masse dans sa mise en scène. En conjuguant chants, danses et expression corporelle, il joint le comique au mélodramatique dans une floraison esthétique on ne peut plus riche. Nonobstant une réponse classique à un choix de répertoire de haute culture, son avant-gardisme s’exprime par l’insertion de la notion de modernité au sein du populaire : si Carmen est conçue dans le monde d’hier, elle existe toujours aujourd’hui et incarne l’image de la femme contemporaine. La composante musicale de l’opéra de Bizet a ainsi été modifiée pour correspondre au langage de notre époque. D’autres morceaux actuels ont aussi été ajoutés au spectacle, entre jazz, musique andalouse, sud-américaine…
Carmen, la véritable histoire déploie sur scène les différentes faces de Carmen, gitane aux mille visages. Elle est à la fois douce et sauvage, enfant et adulte, vicieuse et angélique, bourreau et victime… Cinq actrices, à l’inépuisable énergie qui vous fait voyager, jouent le rôle de Carmen, étiquetées « danseuse, chanteuse, ambivalente, sorcière et douce ». Elles dépassent les conventions du jeu pour entremêler les écoles, les styles et les identités.
L’emploi d’un narrateur pour raconter l’histoire de Carmen permet un commentaire métatextuel très intéressant sur les choix pris par Mérimée. Il remet en question la vraisemblance – de l’action et surtout du personnage – aux dépens de la nécessité dramaturgique. Les apartés des différents hommes qui jouent José laissent sonner les questions d’un lecteur ou d’un spectateur trop timide pour s’exprimer.
Carmen, la véritable histoire dispose de l’énorme faculté de faire s’envoler le temps. Si l’emploi de costumes et d’accessoires atemporels fait fondre les différentes temporalités en universalisant l’unité du message, et si l’usage d’une musique à la fois classique et inventive arrive à transpercer l’instant, l’Infini théâtre en fait encore plus : dans l’espace de deux heures, le spectacle prouve que le mariage du classique à l’avant-garde engendre un théâtre accessible à tous.