Ce dimanche, une bonne partie de l’équipe était de repos et seul Emilie est partie visionner deux films en soirée. Retrouvez ses analyses pertinentes sur deux films dérangeants.
KILLERS, de Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto
Heureusement qu’il y a le cinéma. Je n’ose imaginer ce qui passerait si Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto, dit les frères Mo n’avaient pas trouvé ce moyen plutôt inoffensif d’exprimer ce qui s’agite dans leur cerveau tourmenté. Est-ce qu’ils auraient, par exemple, fini par ressembler aux personnages de Killers ? Brrr. La perspective fait froid dans le dos…
Les deux protagonistes de Killers, en effet, ont des habitudes quelque peu malsaines : à Tokyo, Nomura met en scène l’exécution de jeunes femmes qu’il a plaisir à torturer avant de poster les vidéos en ligne ; et à Djakarta, Bayu, jeune père a priori équilibré, cache un léger penchant pour les œuvres de Nomura. Accros à Youtube, attention à vos fantasmes, ils peuvent vous mener trop loin : le jour où Bayu se fait braquer dans un taxi et tue dans la panique ses agresseurs, un moment d’égarement le pousse à filmer la scène macabre, puis à poster la vidéo. Nomura entre alors en contact avec son émule, qu’il va inciter à poursuivre l’expérience…
Le début du film est prometteur : la structure, qui donne à voir en parallèle la routine lugubre d’un Nomura coutumier du meurtre et la déviance naissante de Bayu, écarté entre l’attraction du vice et l’aspiration à recoller les morceaux de son couple en difficultés, est plutôt stimulante et donne à penser que les rapports entre ces deux personnages vont nourrir une intrigue complexe et psychologiquement passionnante. On imagine qu’il va être question de la fascination pour la violence, de l’histoire du crime à l’heure de la vidéo, de la tentation du mal et du désir de normalité dans un monde empli de bonnes raisons de tuer.
Malheureusement, le film n’explore pas les riches pistes que son point de départ suggère. Le scénario se perd dans ses propres bifurcations, s’attarde sur des péripéties et des personnages qui ne débouchent sur rien. Rien de déterminant ne vient bouleverser le cheminement des personnages, à l’épaisseur psychologique finalement bien mince : Nomura reste désespérément un grand malade (alors qu’on espère un moment qu’il va pouvoir évoluer un peu, et qu’on le souhaiterait pour lui, d’ailleurs), et du côté de Bayu, on ne saura pas grand-chose sur ce que ça fait d’avoir un épisode de fureur meurtrière. Killers s’étire donc en longueur (il dure plus de 2h), dans une construction trop systématique (Nomura, Bayu / un meurtre, un autre meurtre), comme si les réalisateurs n’avaient pas su hiérarchiser leurs idées pour ne garder que les bonnes. Le spectacle de la folie déchaînée de Nomura et des tribulations de Bayu écartelé entre le bien et le mal finissent donc par nous lasser. Au bout d’une heure et demie, on n’a plus vraiment envie d’un kidnapping.
Pourtant, les réalisateurs ont rivalisé d’imagination pour nous offrir des scènes de violence et de torture qui réjouiront les amateurs, entre perversité glaçante et sauvagerie sans chichis, avec hémoglobine à tous les étages. Les moments d’action sont palpitants et habilement menés, parfois teintés d’humour, à l’instar de cette poursuite dans un hôtel où Bayu s’enfuie sur le chariot à repas. Ça fait du bien, d’ailleurs, de penser que les frères Mo aussi ont eu eux aussi besoin de rigoler un peu. Parce que franchement, je ne sais pas ce que maman Mo mettait dans leur purée, mais à sa place, je me poserais des questions sur l’éducation donnée à mes chers rejetons.
CHEAP THRILLS, de E.L. Katz
Mauvais jour pour Craig. Après avoir reçu un avis d’expulsion, il se fait licencier du garage dans lequel il travaille ; on comprend donc qu’il noie au bar son angoisse à l’idée de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, quand il croise Vince, un vieux copain qu’il n’a pas vu depuis des années. Alors que Craig est devenu un père de famille respectable, Vince continue visiblement à errer sur les rives de la délinquance, et gagne sa vie réclamant de manière musclée des dettes de jeux à de mauvais payeurs. Quoi qu’il en soit, tous deux ont des soucis avec l’argent, et ouvrent donc de grands yeux ronds quand l’exubérant Colin, qui fête l’anniversaire de sa femme Violet dans le bar où les vieux amis se racontent leurs vies, claque avec une facilité déconcertante 300 € dans une bouteille de tequila qu’il partage généreusement avec eux. Le chaleureux Colin, un brin sarcastique, et la mutique Violet, poupée blonde aux émotions impénétrables qui paraît indifférente à tout, ont de drôles de manières de s’amuser : ils parient 50 dollars sur le fait que le serveur regardera en premier les seins de la serveuse. Comme c’est plus rigolo de jouer à plusieurs, ils intègrent bien vite Craig et Vince dans leurs paris de plus en plus bêtes : 100 dollars pour gifler une cliente, 300 dollars pour frapper le premier un videur énervé…
Colin et Violet sont apparemment ravis de passer la soirée en compagnie de leurs nouveaux amis, et le jeu se poursuit dans leur luxueux appartement. Craig se laisse peu à peu gagner par cette compétition arbitrée par Colin qui l’amène, lui et Vince, vers des défis de plus en plus risqués et surtout de plus en plus tordus… Jusqu’où les deux amis seront-ils-prêts à aller pour gagner la promesse d’un nouveau départ ou l’assurance de mettre femme et enfant à l’abri du besoin ?
Cheap Thrills est un film très brillant et profondément dérangeant. Le scénario est parfaitement maîtrisé, la mise en scène est tendue et ne laisse que peu de répit, et si on sent très vite que tout cela va mal tourner, on est bien loin d’un fonctionnement mécanique qui se limiterait à une surenchère dans le gore (et pourtant pour le gore, les gars, vous ne serez pas déçus). C’est parce qu’il est très ancré dans le réel et dans le malheur des temps que Cheap Thrills nous perturbe tant : à l’heure de la crise, Craig, c’est potentiellement nous. Au-delà d’une interrogation sur ce que nous serions prêts à faire pour de l’argent, le film est une féroce satire, à l’ironie mordante, aux accents sociaux et politiques, sur le spectacle de la violence et de la déshumanisation, sur la soumission volontaire et la mise en concurrence des individus, sur l’exploitation malsaine de la misère ordinaire. Le film résonne : on pense aussi bien à la télé-réalité, dont Cheap Thrills nous rappelle l’extraordinaire violence aujourd’hui banalisée, qu’à l’expérience de Milgram des années 60, où des individus ordinaires pensaient déclencher, en appuyant sur un bouton, des électrochocs à des personnes qu’ils ne voyaient pas.
Cheap Thrills met mal à l’aise précisément parce qu’il nous place dans une position de voyeur, et de voyeur attentif : on ne peut pas s’empêcher d’attendre avec délice le prochain défi. Cheap Thrills déstabilise parce qu’on ne sait plus où on doit se voir dans le film et à qui on ressemble : Craig et Vince ne sont pas simplement de pauvres victimes d’un jeu dont ils ne mesurent pas les conséquences, et Colin ne ressemble pas au typique monstre assoiffé de violence – tuer un caniche, par exemple, très peu pour lui. Le pouvoir n’est pas repoussant, pas contraignant, il est même compréhensif. Cheap Thrills est un film douloureux : c’est quand Colin et Violet regardent, comme devant une bonne série télé, Vince et Craig revenir avec peine sur leurs vies de loosers banals, que le voyeurisme est le plus cruel. Cheap Thrills est troublant parce qu’il est drôle, parce que c’est du jeu même si on se couvre de sang, parce que la noirceur lucide se dévoile derrière la logique de la comédie. Occidentaux du XXIe siècle, spectateurs apaisés d’émissions où on élimine les faibles, nourris à l’angoisse de la crise et fascinés par l’abondance, entraînés pour être des winners, est-ce que nous ne serions pas, nous aussi, dans Cheap Thrills ? A la fin de cette petite pépite, on ne se demande pas seulement avec dégoût comment « ils » ont pu en arriver là. On se demande presque en frissonnant comment, nous tous, nous en sommes arrivés là.
Le Lundi au soleil ou Le Lundi dans les salles ?
En ce lundi 14 avril, une nouvelle journée va s’ouvrir sur le BIFFF. Dès 14, les premières éclaircies vont nous amener au Vietnam pour Once upon a time in Vietnam, une dystopie teintée de fantasy et d’arts martiaux.
A 16h, même salle mais tout autre ambiance ! On voyage désormais entre l’Allemagne et la Suisse pour revisiter le conte du Chaperon Rouge. Mais d’une manière assez bizarre pour figurer dans la sélection 7ème parallèle : The Outing.
A 18h, il faudra se partager entre un film anglais en compétition (Lord of Tears) et un film de truands coréen (Cold Eyes) ! A 20h, le choix oscillera entre I’ll follow you down, un film SF marquant le retour d’Harvey Joel Osment et Willow Creek sur le trop rare BigFoot !
On pourra soit prolonger la soirée en salle 1 avec Viral, nouveau film d’horreur ibérique ou Intruders, un slasher coréen. N’oubliez pas de revenir à 00h30 pour le Troma en présence de Lloyd Kaufman (Return to Nuke’em High) !
A demain les loulous !