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    32 rue Vandenbranden, la magie noire de Peeping Tom au KVS

    conception & mise en scène Gabriela Carrizo, Franck Chartier
    danse & création Jos Baker, Eurudike De Beul, Marie Gyselbrecht, Hun-Mok Jung, Maria Carolina Vieira (avant Sabine Molenaar), Seoljin Kim
    figurants Antoinette Servais, Leslie Maerschalck
    crédit photo Herman Sorgeloos

    L’obsession visuelle et l’obsession de la peur, voilà ce qui tourmentait le personnage principal du film de Michael Powell qui a donné son nom à la compagnie Peeping Tom (Le Voyeur, en français) : un jeune homme énigmatique et solitaire y traquait grâce à sa caméra l’expression de la frayeur sur le visage de jeunes filles qu’il s’apprêtait à tuer. Si le Peeping Tom dont il est question ici est moins morbide que le scénario du film éponyme, 32 rue Vandebranden n’écarte ni la noirceur, ni la fascination pour les mystères du voir.

    Et ce qu’on voit nous glace dès les premiers instants. Un paysage désolé de neige et d’obscurité, sifflé par le vent, battu par la neige, et deux caravanes de fortune qui semblent s’être engluées aux confins du monde habité : c’est dans cette solitude qu’évoluent pendant une heure vingt les six protagonistes qui forment le monde étrange de 32 rue Vandebranden. Un peu voisins, très isolés, il y a là une chanteuse d’opéra qui plane au-dessus des tempêtes comme un oracle noir et fait trembler Shine on you crazy diamond de Pink Floyd, deux étrangers qui parlent une langue inconnue, une femme enceinte qui attend quelque chose, un homme et une femme qui s’aiment avant de s’éloigner. Car tout le spectacle, tantôt macabre, tantôt grinçant, oscillant entre la panique et la légèreté, joue avec délice et cruauté sur la fragilité des équilibres, sur le dedans et le dehors, sur l’espace entre les abris qu’on s’imagine et la terreur des déserts qu’on cherche à mettre à distance et parmi lesquels on retombe, éjecté des portes et de la lumière, comme dans un cauchemar. A mesure qu’on avance dans 32 rue Vandebranden, en effet, le cauchemar prend forme, les hallucinations nous perdent, les tentatives pour s’accrocher, pour rentrer quelque part, pour tenir un rôle, se font plus sauvages et plus désespérées – et ce sont les corps qui s’entrechoquent, se bandent et se contorsionnent, les mimiques qui s’affolent, les lumières et les sons qui claquent. A mi-chemin d’un enfer lynchien, d’un Cri de Munch – auquel un passage dansé fait clairement allusion – et d’un Soir d’été d’Edward Hopper qui aurait mal tourné, la puissance visuelle et dramaturgique de Peeping Tom, alliée à une maîtrise et une inventivité virtuoses, produit des effets quasi hypnotiques.

    On ne sait pas très bien si on regarde du théâtre à peu de mots ou un récit dansé, pas bien non plus ce qui se passe exactement dans cette rue Vandebranden, mais peu importe : on est immergé dans la magie noire de Peeping Tom, dans le dédale halluciné d’hommes et de femmes qui tentent avidement de s’accrocher à des points fixes, de durer dans un lieu, d’y installer une intimité. L’effort a un prix : celui de l’effacement des autres sous le neige épaisse et du retrait morne, chacun dans sa caravane. Quand la raison s’égare, l’imaginaire engendre des monstres, disait une gravure de Goya : celui de Peeping Tom, frissonnant et sombre, crée des monstres tristes qui nous ressemblent.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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