2001 : L’odyssée de l’espace
de Stanley Kubrick
Science-fiction
Avec Keir Dullea, Gary Lockwood, William Sylvester, Leonard Rossiter
Sorti le 4 juillet 2018
Cinquante ans après sa sortie, le film visionnaire de Stanley Kubrick ressort dans quelques salles, dans une version restaurée, restauration dont l’aboutissement doit beaucoup à l’intervention du cinéaste Christopher Nolan, qui était à Cannes en mai dernier pour présenter cette nouvelle copie du film.
Restauration
Fervent défenseur de la pellicule, Nolan expliquait à Cannes que cette « restauration » n’en était en réalité pas une et qu’il s’agissait plus précisément d’un nouveau tirage de la copie originale, donnant donc naissance à une version flambant neuve du film, tel qu’il fut découvert à l’époque par les spectateurs qui le virent en salles lors de sa sortie. La démarche de ressortie du film ne va donc pas sans une recherche de « pureté », de retour aux origines, qui est finalement très proche de celle de Kubrick, pour 2001 en particulier. Mais il s’agit aussi et surtout d’un exercice de fétichisation cinéphile qui, dans le chef de Nolan et dans celui de ceux qui attendent cette nouvelle sortie comme le graal, remet la salle au centre de l’expérience cinématographique et spectatorielle. Cet acte militant – s’il n’est pas dépourvu d’ambiguïté et de nostalgie peut-être légèrement réactionnaire – ne pouvait que trouver dans 2001 : L’odyssée de l’espace l’objet idéal, suprême, pour son exécution, tant il représente plus que jamais la quintessence de l’expérience sensorielle au cinéma.
Impressions
Dans cette démarche de donner la possibilité au public de voir le film en salle – presque – dans les conditions d’époque, il y d’un côté la volonté probablement utopique de voir un jeune public découvrir 2001 pour la première fois sur un grand écran – alors que des générations précédentes l’ont d’abord vu à la télévision, parfois dans des versions recadrées, doublées, voire remontées, qui ne lui rendaient pas justice – mais aussi et surtout celle de donner l’occasion au spectateur quel qu’il soit de retrouver des sensations primales face au film, de se laisser happer par celui-ci et de laisser libre court aux impressions qu’il peut infuser en chacun. Ces notions de sensations et d’impressions sont peut-être le maître-mot, précisément concernant un film autant discuté, fantasmé et surinterprété, cela presque sans interruption durant les cinquante ans qui ont suivi sa sortie. On peut apprécier à divers niveaux les nombreuses tentatives d’analyse et d’interprétation du film mais il faut probablement éviter d’être piégé par cette masse « surinterprétative » paralysante et tenter de se fier à ses propres impressions, à la manière dont le film nous imprègne individuellement, dont il travaille sur nous.
Visions
Ces impressions que le film provoquent sur le spectateur vont évidemment de paire avec les visions que proposent le film, des images-concepts ou encore des images-émotions qui sont légion dans 2001 et dont il est presque impossible d’en isoler une en particulier. Parmi ces images qui ont marqué l’imaginaire cinéphilique et populaire de ces cinquante dernières années, attardons-nous tout de même sur la représentation graphique du robot HAL 9000, qui semble finalement assez emblématique de la démarche globale d’épure de Kubrick. Un simple œil bionique, un rond lumineux qui clignote au son de la voix synthétique du robot : c’est la seule figuration à l’écran de ce qui n’est en réalité qu’une idée, une voix, mais qui est au cœur de l’action de toute la troisième partie du film, à savoir le programme informatique HAL, qui accompagne les deux astronautes dans leur mission vers Jupiter. Dans un film qui tend constamment au gigantisme de par son propos et son rendu visuel – la mise en perspective de l’évolution humaine, l’immensité de l’espace et le ballet des vaisseaux sur des morceaux de musique « monumentaux » –, le recours à une apparence aussi modeste pour un « personnage » qui aurait pu être le prétexte d’un effet spécial autrement plus ostentatoire est à la fois étonnant et extrêmement cohérent quant à la continuité narrative et esthétique du film. En effet, si les enjeux abordés peuvent paraître énormes, ils n’apparaissent à chaque fois que par le prisme d’un seul élément – un singe ou un homme pour la masse. De même, le fameux monolithe noir au centre de toutes les interrogations revêt lui aussi une apparence très dépouillée. La manifestation physique de HAL est en cela l’incarnation parfaite d’un film qui travaille sans cesse le rapport entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et c’est probablement aussi pour cette raison qu’elle continue de rester en mémoire longtemps après la vision du film.