20000 jours sur Terre
de Iain Forsyth et Jane Pollard
Documentaire, Drame, Musical
Sorti le 29 octobre 2014
Le documentaire musical est à n’en pas douter un genre cinématographique à la grammaire incertaine. Cette inconsistance stylistique est une forme de liberté que les meilleurs réalisateurs exploitent pour sublimer des objets qui, soumis à une forme plus contrainte, seraient très vite d’un ennui mortel.
Que l’on repense au délirant The songs remains the same (1976), film qui mythifiait au premier degré les musiciens de Led Zepplin au très académique, mais passionnant No Direction Home (2005), qui nous relatait par le détail comment Bob Dylan, en électrifiant sa musique, créa un schisme musical qui allait redéfinir la musique populaire américaine et, faisant, mondiale ; à This Is It, ultime témoignage artistique de Michael Jackson, difficile de voir une évidente continuité. Pensons également aux récents et excellents Mistaken for Strangers et Pulp : a film about life, death and supermarket. Si le premier est un essai pour le moins singulier de faire un film sur une tournée, le second colle à l’univers des textes de Jarvis Cocker et donne une place importante aux habitants de Sheffield, sans tomber dans la sociologie de bazar. Réjouissant et recommandé. Concertant Nick Cave, avant 20 000 days on earth, il y eu The Road to God Knows Where (1989). Film sur la tournée américaine de 1989 de Nick Cave & the Bad Seeds, ce documentaire se voulait déjà différent des autres films sur les clichés rock (dont le parangon serait peut-être le sulfureux Cocksucker Blues (1972) sur les Rolling Stones, non officiel, mais trouvable sur le net…). Pourtant, nombre d’éléments « classiques » y sont : interviews avec la presse, longs trajets en bus, balance, concert, etc.
Iain Forsyth et Jane Pollard viennent, avec 20 000 days on earth ajouter une belle pierre à ce genre en proposant un film à la tonalité unique. Écrit avec Nick Cave lui-même, il s’éloigne des canons classiques du genre documentaire (au sens large) pour épouser ceux de la fiction : mise en scène au poil, lumière chiadée, montage son et image d’une grande harmonie, aux effets très travaillés.
Que voit-on dans 20 000 days on earth (ou 20000 jours sur Terre) ? Nous suivons Nick Cave sur une journée, du réveil à la tombée de la nuit, le tout entrecoupé par des séquences où ne le retrouvons en studio, lors de l’enregistrement de Push the sky away. Généreux et respectueux (tant des artistes que du public), les réalisateurs ont eu le bon goût de nous livrer des séquences complètes de chansons (ou quelques fois suffisamment longues pour ne pas donner l’impression de sacrifier aux montages hystériques des clips vidéos. Rien de tout ça ici.).
C’est donc dans la tête du créateur que nous sommes conviés (la voix off, qui rythme tout le film, est écrite et lue par Nick Cave). Sans nous livrer toutes les clés de son inspiration, Nick Cave nous fait part, dans une langue très travaillée, mais jamais ‘sur-poétisée’, de quelques éléments fondamentaux et fondateurs de son songwriting. Mais ce n’est pas tout. Le film, tout à la description du temps présent qu’il filme, lance régulièrement des regards dans le rétroviseur. Que cela soit chez le psy ou dans les archives, le film nous donne des éléments disparates de la vie et de sa carrière de Nick Cave (…via Nick Cave, donc).
Mais c’est surtout lors de trajets en voiture que le passé ressurgit : apparaissant et disparaissant comme des spectres, Blixa Bargled ou Kylie Minogue éclairent, lors de dialogues doux amers ou amusés, des périodes révolues, mais qui ont compté dans sa carrière. Side-man charismatique, Blixa Bargeld quitte les Bad Seeds en 2003 après 20 ans de bons et loyaux services. Bien que protéiforme, les bad seeds ne sont pas un simple backing band et le départ de Bargeld laissa un vide important. Son apparition, bien que courte, est donc précieuse. L’on aurait bien aimé avoir la même chose avec Mick Harvey : cheville ouvrière du groupe depuis les débuts, il quitte les Bad Seeds en 2007. Divergence avec Nick Cave ? Tension avec Warren Ellis ? Nous n’en saurons rien, contrairement à Blixa Bargeld, il n’est pas dans le film.
Le documentaire de Forsyth et Pollard est plutôt hagiographique et donc extrêmement bienveillant. Non pas que l’on nous décrive Cave comme un Saint, mais il est peu fait état des éléments et épisodes disruptifs d’une carrière, il est vrai, artistiquement exemplaire. Au final, un film classieux, attachant, qui n’oublie jamais son sujet, la création musicale d’un artiste qui, dans un rapport complexe à la notoriété et à l’image, trace une route singulière et passionnante.