Özge et sa petite Anatolie – « elle, elle mais avec les autres » ***
Petite salle mais salle bien remplie pour la première de Özge et sa petite Anatolie, co-réalisé par Pierre Chemin et Tülin Özdemir. Production familiale sans être pour autant un film de famille, le documentaire nous plonge dans le quartier turque de Bruxelles, entre Saint Josse et Schaerbeek, surnommé la petite Anatolie, pour aborder les questions liées à l’immigration, à travers le rapport identitaire, l’intégration sociale ou les liens entretenus aux coutumes folkloriques.
Ce qui rend la production novatrice ce n’est pas qu’elle soit le résultat d’une investigation de 40 ans, ou qu’elle soit écrite à la première personne, mais plutôt que le sujet de l’immigration soit abordé d’un point de vue féminin; celui de Özge, la réalisatrice, mais aussi et surtout celui de ses ainées et de ses cadettes. Si l’on peut relever le caractère un peu trop sensible d’Özge et sa petite Anatolie, il relève aussi d’un travail du quotidien dans le temps et le sujet.
Choc des générations, les témoignages que se font face sont troublants par la distance qui les sépare face, pourtant, à la même expérience. Özge interroge à tour de rôle, sa mère et sa fille ainsi que les générations de celles-ci et observe les liens et les différences du ressenti des femmes immigrées turcs sur trois générations, avec pour objectif de trouver des réponses à ses propres interrogations quant à sa position dans une société qui n’est qu’a moitié la sienne.
D’apparence trés personnelle, le documentaire s’ouvre finalement très vite mais sans césure à la problématique universelle de l’immigration à travers le prisme culturel. Le sujet, souvent traité dans le documentaire, l’a beaucoup moins été à travers un regard de femme.
Dans la lignée de cinema de l’intime, Özge livre un documentaire totalement personnel mais qui aborde finalement un problème politique des plus universel. Un film à voir pour tous les immigrés et aussi, peut-être surtout, pour tous les autres.
Je suis le peuple – « La face cachée du documentaire » *****
Anna Roussillon est Egyptienne et vit à Paris. Au retour d’un voyage dans son pays natal, la révolution éclate, elle decide alors d’y retourner. Premier film pour la réalisatrice et pas des moindres, jusqu’à remporter, entre autre, le très célèbre prix de la section Acid à Cannes.
Anna Roussillon nous entraine, «de là où elle vient » au sud du Caire, pour suivre un des moments clés qui a marqué l’histoire de son pays, la révolution Egyptienne de 2011.
Loin de la place Tahrir, Je suis le peuple se concentre sur un village de vallée de Luxor qui n’est relié à la révolution, du renversement de Moubarak à l’élection et la chute de Morsi, qu’à travers un petit écran télévisé.
Farraj et sa famille, les villageois qui nous ouvrent leurs portes pendant près d’un an et avec qui la réalisatrice se lie d’amitié, commentent la révolution sans en ressentir réellement les changements et nous livrent leurs regards sur celle-ci. Anna Roussillon n’hésite pas à tenir tête aux protagonistes et à poser les questions qu’il faut, face aux non-dits et parfois même à la mauvaise foi de ses interlocuteurs, pour faire émerger, chez chaque membre de la famille, le regard qu’il porte sur la révolution, mais aussi les problématiques sociales et politiques qu’elles engendrent. De la position des femmes dans la société égyptienne qui, malgré la nécessité absolue d’aller voter par exemple, s’en excuse via des tâches ménagères jusqu’au regard d’une petite fille qui démontre les côtés négatifs qu’engendrent les événements qui ont plongé son pays dans le chaos.
Le documentaire s’achève comme il a commencé, sur un fond noir. Coupure d’électricité encore une fois mais celle-ci pour »littéralement couper la parole de Abd al-Fattah al-Sissi » émanant de l’écran de télévision.
Je suis le peuple est un film plein de sagesse qui, plutôt que de se plonger à corps perdu au centre névralgique du conflit, nous offre un panorama complet de la situation du pays en prenant du recul sur les événements directs de la révolution Egyptienne.
Valley – « du sang et des violons » – **
Volonté de vivre, de mourir ou de tuer, question indubitablement liée à la problématique de la violence, Valley nous plonge dans la vie de trois jeunes lycéens, chacun occupé à ses préoccupations personnelles, confronté à des violences et des persécutions sociales mais chacun réagissant de manière différente.
Valley c’est l’histoire de David qui arrive, suite à un déménagement, dans une nouvelle école à Migdal Ha’emek, une petite ville perdue dans le nord d’Israël. Silencieux et pas vraiment populaire, le jeune garçon solitaire, après des débuts tumultueux, finit finalement par se lier d’amitié avec Josh dont le destin va tragiquement finir par se lier au sien.
Comme dans la volonté de trop montrer, les scènes se succèdent, sans laisser le temps aux personnages et aux spectateurs d’assimiler l’aspect psychologique de la dramaturgie, si bien que les protagonistes semblent lisses. Valley c’est un peu comme une anecdote : Un père, probablement des services secrets, et une mère qui s’est suicidée pour notre non héros « qui utilise la musique et la lecture pour se retirer du monde ». Une violence exacerbée qui n’est que le reflet de son environnement familial pour Josh, avec une frère violent, hors la loi et homosexuel, une mère très probablement prostituée et un petit chien froidement assassiné. Et pour compléter notre trio de personnages principaux, Linoy une jeune fille rêvant de paillettes et de cinéma, amoureuse de David mais aimé de Josh. Tous trois sont confrontés, à leur niveau, à des formes de violence et seront à l’apogée du film confronté a un drame commun qui apportera quelques clés de lecture aux problématiques du film.
Valley a beau user et abuser des scènes de violence, le film ne demeure pas pour autant un film que l’on pourrait qualifier de violent, tant les personnages demeurent imperméables à toute appropriation. Le personnage principal, selon le synopsis papier mails pas vraiment à l’écran, n’est rattachable, lui non plus, à pas grand chose car les informations qui nous sont données ne coïncident qu’à moitié avec celle manquante.
SYSTEM_D – « Les jeunes du quartier ont la parole » ****
Pour sa carte blanche, le Festival cinéma méditerranéen a invité cette année SYSTEM_D « le festival des jeunes talents émergents de bruxelles ». Alors SYSTEM_D, qu’est-ce que c’est ? En bref, c’est une biennale qui récompense plus de 30 films sur les 150 participants. Pour concourir, pas de règles drastiques mais trois critères « Le réalisateur/La réalisatrice se sent jeune », « Il/elle n’est pas passé par l’école de cinéma » et « Le film est tourné à Bruxelles ». Et le grand point fort de ce festival c’est qu’il n’a donc lieu que tous les deux ans, deux années durant lesquelles les films sélectionnés sont promus à travers différents lieux de montrastion pour lesquels les sélections sont réajustées selon des thématiques ou tout simplement en fonction du contexte d’exposition.
Avant la projection, l’équipe de SYSTEM_D nous expliquait qu’il n’y avait pas de thématique qui régissait la sélection présentée dans le cadre du MED. Sélection hétéroclite et variée, avec de l’animation, du drame, de la danse, du documentaire et de l’humour, beaucoup d’humour.
Nous nous interrogions donc sur les liens qui s’établissaient entre des films qui n’ont pas de thématique commune mais dans le cas présent, sans aucun doute, notre chère ville de Bruxelles crée des liens qu’elle seule sait entretenir. Un sketch de deux bruxellois à Flagey se croyant sur la croisette (Bonnie and Klet de Roger Ranium et Naila Ma) côtoie un autre sur les clichés du cinéma du même nom réalisé par Bakayaro dans un registre diamétralement opposé et puis des réflexions plus poétiques sur l’emprisonnement avec Avant la nuit de Chiara Catherina et des films d’animation sur les quartiers des marolles réalisés par ses habitants avec Les bras cassés de Los Marollos.
Malheureusement, le festival manque de rayonnement et mériterait plus de lisibilité car il nous a offert de belles surprises et a finement joué sa carte blanche. L’appel a projet pour la troisième édition est lancé et le festival se déroulera au Kvs en avril 2016, on a hâte !
LE MED n’a pas fini de nous surprendre !
Malgré les événements récents qui ont plongé Bruxelles dans le climat qu’on lui connait et malgré les gardes armés à l’entrée du Botanique, le festival cinéma méditerranéen ne s’est pas laissé abattre pour sa quinzième édition et nous a encore fait découvrir quelques belles surprises issues des trésors du « 7eme art du sud »
Parmi les grands gagnants du festival, nommons SIVAS, long métrage qui raconte l’histoire d’un petit garçon balloté par la réalité imprévisible des campagnes de l’Anatolie de Kaan Müjdeci, qui remporte le prix du jeune jury et surtout le grand prix du jury qui offre une aide à la distribution et/ou à la promotion de 5.000 €. Nommons également TIKKUN de Avishai Sivan, qui dresse le portrait d’un croyant ultra orthodoxe dont la vie va basculer après s’être évanouie suite à un jeûne et qui remporte le prix spécial du jury et surtout, notre chouchou, A PEINE J’OUVRE LES YEUX de Leyla Bouzid qui reçoit le prix du public, le prix de la critique ainsi que le prix du jury attribué à Ghalia Benali pour son interprétation dans le film.
Le point fort du MED c’est la présence de bon nombre de réalisateurs et l’ambiance chaleureuse dans laquelle nous plonge le festival qui facilite l’entrée au dialogue. Le point faible c’est la programmation, trop de films en trop peu de temps si bien qu’il faut faire des choix, chose ardue lorsque l’on veut tout voir!
Le MED l’a encore joué finement avec une programmation d’une grande justesse, au coeur de la problématique sociale et politique actuelle. Le MED c’était près de 7O films venant de 20 pays de la méditerranée différents, sans oublier toutes les activités périphériques des concerts aux ateliers jusqu’aux ravitaillements. Le MED c’est fini, mais on a déjà hate d’y retourner l’année prochaine !